Page:Pilard - Deux mois à Lille par un professeur de musique, 1867.djvu/44

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de danse ; confondant les temps faibles avec les temps forts, changeant à chaque instant de mouvement, elle jetait le désarroi parmi les danseurs ; aussi les mines s’allongeaient-elles quand on la voyait se mettre au piano. On en était même arrivé au point de ne plus voir approcher qu’avec terreur le moment du bal, et des jeunes gens exaspérés parlaient de renoncer à la danse pour aller s’asseoir à la table de jeu avec les goutteux et les paralytiques, quand l’un de nous émit l’ingénieuse idée d’engager à l’avance Mademoiselle X à danser pour toute la soirée. À peine un quadrille était-il terminé que vite trois ou quatre danseurs se précipitaient pour obtenir la mazurka ou la polka suivante, et c’était réellement plaisir de voir l’enchantement peint sur les traits de la bonne mère par la recherche assidue dont sa fille était l’objet. Les choses durèrent ainsi pendant plusieurs jours, nous étions tous dans le ravissement ; mais je ne sais par quelle indiscrétion la supercherie fut découverte, et les deux dames, confuses et humiliées, se firent servir dans leur appartement et ne reparurent plus au salon.

« J’en resterai là pour aujourd’hui, Madame. Tout ce que je pourrais ajouter reviendrait à dire que la musique, selon moi, doit être pour l’amateur une récréation à la fois utile et agréable…

— « Chut !… j’entends ma fille qui rentre… Parlez d’autres choses.

— « Respectez ses oreilles, me dit gravement l’alto taciturne.

— « Quelle déception pour moi qui me flattais de vous convertir ! »

— « Non possumus. »

Les amateurs de musique classique à Lille peuvent être divisés en deux camps bien distincts : d’abord, les admirateurs exclusifs de la musique ancienne, qui, après avoir été jadis