Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/235

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sortes d’esprit dont on peut faire usage, le bel esprit soit celui qui inspire le plus d’amour-propre ? Sur quoi fonde-t-on sa supériorité ? et qu’est-ce qui en favorise si fort la prétention ? Voilà d’où vient l’illusion.

Premièrement, les hommes ne sont jamais plus jaloux de leurs avantages, que lorsqu’ils les regardent comme leur étant personnels, qu’ils s’imaginent ne les devoir qu’à eux-mêmes ; et, comme ils jugent moins de l’esprit par des effets éloignés, et dont ils n’aperçoivent pas toujours la liaison, que sur des signes immédiats ou prochains, les hommes qui ne sont pas faits à la réflexion, croient voir cette prérogative dans le bel-esprit plus que dans tout autre. Ils jugent qu’il appartient en propre à celui qui en est doué. Ils voient, ou croient voir qu’il produit de lui-même et sans secours étrangers ; car ils ne distinguent pas ces secours qui sont cependant très-réels. Ils ne font pas attention qu’à talens égaux, les écrivains les plus distingués sont toujours ceux qui se sont nourris de la lecture réfléchie des ouvrages de ceux qui ont paru avec éclat dans la même carrière. On ne voit pas, dis-je, assez que l’homme le plus fécond, s’il étoit réduit à ses propres idées, en auroit peu ; que c’est par la connoissance et la comparaison des idées étrangères, qu’on parvient à en pro-