Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/33

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tes, et alloit sans cesse les recueillant auprès de ceux qui les savoient d’original. « Mais il les aimoit trop, dit M. de Vauxcelles, pour n’en être pas quelquefois la dupe[1]. Il étoit plein tout à la fois de probité et de malice. Il étoit porté à croire qu’un récit malin étoit vrai, et qu’un récit vrai devoit être malin ». Ce portrait est un de ceux dont le naturel et l’air de vérité garantissent presque la ressemblance. En effet, la curiosité va rarement sans la malignité, et l’une n’est jamais plus satisfaite que quand l’autre est un peu flattée[2].

Il est facile de se figurer qu’avec son caractère franc et son tour d’expressions vif et piquant, Duclos a dû passer pour caustique. C’est encore un reproche que presque tous les gens d’esprit ont eu le malheur, ou, si l’on veut, le tort de s’attirer. Heureusement il ne leur est guère fait que par les sots. Il est cependant à remarquer que ceux-ci ont beaucoup moins de véritable indulgence que les premiers. Dès qu’un ridicule est assez grossier pour ne point leur échapper, ils fondent dessus sans retenue, sans pitié ; mais comme leurs coups mal dirigés retombent ordinairement sur eux-mêmes, on oublie leur intention à laquelle le fait n’a point répondu, et ils deviennent un objet de compassion ou de risée plutôt que de haine ou de crainte. Les gens d’esprit au contraire aperçoivent trop de ridicules pour n’en pas épargner beaucoup ; et quand ils ne peuvent résister à l’envie d’en attaquer un, c’est presque toujours sans animosité et avec des ménagemens que la sottise ne connoît pas, ou dont elle feroit un usage maladroit ; mais leur bras est plus assuré, leurs armes sont de meilleure trempe, les blessures

  1. M. de Malesherbes s’est cru obligé de réfuter Duclos sur ce qu’il avoit dit de son bisaïeul, le président de Lamoignon, au sujet de l’acquisition de la terre de Courson.
  2. Quel que fût l’amour de Duclos pour les anecdotes, il y vouloit du choix, et ne pouvoit souffrir qu’on s’occupât gravement des misères du lever, du coucher et du débotter. Il disoit à propos de certains courtisans qui y attachoient beaucoup d’importance : Quand je dîne à Versailles, il me semble que je mange à l’office. On croit entendre des valets qui s’entretiennent de ce que font leurs maîtres.

    Il se plaignoit de ce qu’on retenoit mal ses anecdotes, et de ce qu’on les citoit de travers : On me gâte mes bonnes histoires, disoit-il.