Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 8.djvu/12

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je regarde comme un bonheur de m’en être dégoûté, avant que je lui fusse devenu importun. Je n’ai pas encore quarante ans, et j’ai épuisé ces plaisirs que leur nouveauté vous fait croire inépuisables. J’ai usé le monde, j’ai usé l’amour même ; toutes les passions aveugles et tumultueuses sont mortes dans mon cœur. J’ai par conséquent perdu quelques plaisirs ; mais je suis exempt de toutes les peines qui les accompagnent, et qui sont en bien plus grand nombre. Cette tranquillité, ou, si vous voulez, pour m’accommoder à vos idées, cette espèce d’insensibilité est un dédommagement bien avantageux, et peut-être l’unique bonheur qui soit à la portée de l’homme.

Ne croyez pas que je sois privé de tous les plaisirs ; j’en éprouve continuellement un aussi sensible et plus pur que tous les autres : c’est le charme de l’amitié ; vous devez en connoître tout le prix, vous êtes fait pour la sentir, puisque vous êtes digne de l’inspirer. Je possède un ami fidèle, qui partage ma solitude, et qui, me tenant lieu de tout, m’empêche de rien regretter. Vous ne pouvez pas imaginer qu’un ami puisse dédommager du monde ; mais, malgré l’horreur que la retraite vous inspire aujourd’hui, vous la regarderez un jour comme un bien. J’ai eu vos idées, je me suis trouvé dans