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xe siècle, leurs incursions furent incessantes. Tout d’abord, elle apparurent tantôt sur un point, tantôt sur un autre, déroutant la défense par leur soudaineté et leur imprévu. Le Rhin, l’Escaut, la Meuse, la Seine, la Loire furent successivement remontés aussi loin que leurs eaux pouvaient porter les barques, et leurs rives dévastées à fond. Puis, le pays étant mieux connu par l’ennemi, il procéda avec plus de méthode et s’en tint surtout à la région qui, du nord de la Seine, s’avance jusqu’à la Frise. Le port de Duurstede, pillé quatre fois de suite (834-837), n’est plus qu’un amas de ruines ; Utrecht est détruit en 857. Il semble qu’un État scandinave et païen soit sur le point de se fonder en Frise, car en 890 l’empereur Lothaire, impuissant à repousser le viking Rurik lui donne en fief les rives du Waal et, en 882, Charles le Gros renouvelle cette concession en faveur de Godefroid, un autre barbare. L’année 879 marque l’apogée de la crise. Une véritable armée débarque sur les bords du Rhin et de l’Escaut qui, appuyée successivement sur ces camps retranchés établis à Gand et à Courtrai, puis à Elsloo, près de Maestricht, et enfin à Louvain, met durant plusieurs années toute la région en coupe réglée. Charles le Gros en 844 ne put la détourner de l’Allemagne rhénane que par un traité humiliant. Elle se dirige alors vers la Seine et s’obstine durant un an au siège de Paris qu’elle ne parvient pas à enlever (885). Après avoir promené la dévastation dans toute la France du nord, elle reparut en 891 à Louvain. Ce fut pour y être attaquée et anéantie enfin par Arnould de Carinthie. Depuis lors, les Normands ne risquèrent plus que quelques coups de main sur le territoire des Pays-Bas. Mais la Seine demeura longtemps encore leur objectif. Enfin en 911, Charles le Simple, ne pouvant les repousser, céda en fief à leur chef Rollon, la région d’entre Seine et Epte qui constitue depuis lors le duché de Normandie. Ce fut la fin des invasions. La Scandinavie, épuisée d’ailleurs par son effort et pourvue de conquêtes suffisantes, cessa d’épancher son trop plein sur le continent.

Le succès de ces agressions ne s’explique que par la faiblesse de l’État carolingien et par sa décomposition croissante. Pour résister aux Barbares, il eut fallu une flotte. Sans finances, comment en constituer une ? Et comment construire des forteresses pour la protection des côtes ? Comment, au milieu des luttes des rois entre eux et de la dissolution de la monarchie, concentrer les efforts et mener les armées à l’ennemi ? En réalité, les rois abandonnèrent la partie et laissèrent l’aristocratie tenir tête, comme