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lui-même le jugement de ses évêques et à s’humilier devant ce pape qu’il venait de faire déclarer indigne. Le 28 janvier 1077, il paraissait devant lui, vêtu en pénitent, dans la forteresse de Canossa et obtenait son pardon. Mais Grégoire se réservait d’intervenir entre lui et les princes. Comme Henri, sans attendre qu’il se fut mis en rapport avec eux, avait repris son titre royal, une partie de ceux-ci donnèrent la couronne à Rodolphe de Souabe. La guerre civile éclata. Henri se sentant plus fort que son adversaire, reprit confiance et brava Grégoire en face en reprenant, incorrigible dans son obstination, le moyen qui lui avait une fois déjà si mal réussi. Un synode, réuni sur son ordre à Brixen, donna la papauté à l’archevêque Guibert de Ravenne. Une seconde excommunication plus solennelle répondit à cette nouvelle proclamation. Mais Rodolphe venait d’être tué dans un combat près de Merseburg (Grona) et Henri, prenant son pape avec lui, marcha sur Rome. Ç’avait été jusqu’alors le sûr moyen de faire courber la tête aux papes féodaux et turbulents d’avant Henri III. Cette fois, les Allemands n’entrèrent à Rome que pour y trouver une nouvelle humiliation. Grégoire, retiré dans le fort Saint-Ange, resta inébranlable. Il fallut se hâter de faire sacrer Guibert qui, sous le nom de Clément III, mit là couronne impériale sur le front de Henri. Puis, le successeur de Charlemagne s’empressa de battre en retraite, car Robert Guiscard et les Normands approchaient de la ville. Grégoire accepta leur hospitalité et se retira à Salerne. Il y mourut le 25 mai 1085, en prononçant les fameuses paroles qui ont depuis lors réconforté tant d’exilés : Dilexi justiciam et odivi iniquitatum, propterea quod morior in exilio.

Clément III occupait le palais du Latran. Mais qu’importait au monde cet intrus que reconnaissaient, seuls par devoir, quelques évêques allemands ? Pour l’Église, Rome était là où était le vrai pape, l’élu des cardinaux, le successeur de Grégoire. Jamais la papauté ne fut aussi puissante que pendant ces années d’exil, non puissante par l’autorité reconnue, acceptée et redoutée comme sous un Innocent III, mais puissante par la vénération enthousiaste et le dévouement des fidèles. C’est un pape errant loin de sa capitale, Urbain II, qui, en 1095, lançait l’Europe frémissante d’amour pour le Christ, à la conquête de Jérusalem. Et cependant que le pape groupait ainsi l’Europe autour de lui, l’empereur traînait tantôt en Italie, tantôt en Allemagne, un règne cahoté de révoltes, de trahisons, de fuites, de retours de fortune, s’usant et usant ce