Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/195

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pour la première fois la campagne pour le milieu urbain. Ce sont les aumônes de la bourgeoisie qui les font vivre ; c’est parmi elle qu’ils se recrutent, c’est pour elle qu’ils exercent leur apostolat dont la multitude de frères du Tiers-Ordre, qui parmi les marchands comme parmi les artisans s’associent aux Franciscains, prouvent suffisamment le succès.

La piété urbaine, on le voit, est une piété active. Chez elle, et c’est là encore un phénomène nouveau, les laïques collaborent directement à la vie religieuse et, à côté du clergé, y prétendent jouer un rôle. De là pour l’Église un double danger. Le premier et le plus grave menace l’orthodoxie. Plus les bourgeois s’intéressent aux choses religieuses, plus ils sont exposés à s’éprendre des doctrines manichéennes qui, au courant, du xie siècle, s’infiltrent de l’Orient en Europe, ou à s’enthousiasmer pour les rêveries mystiques des « Apostoliques » ou des « Frères du libre Esprit ». Il est très caractéristique que l’Occident n’ait pas été troublé par l’hérésie avant la renaissance des villes. La première et la plus formidable qu’il ait connue avant le protestantisme, celle des Cathares, commence précisément à se répandre au xie siècle et est donc strictement contemporaine du mouvement urbain. Et il ne faut pas oublier que la secte des Vaudois a pour fondateur un marchand de Lyon. Même après les formidables massacres des Albigeois, les populations urbaines ne cesseront plus, tantôt sur un point de l’Europe, tantôt sur un autre, de recéler des sectes suspectes, chez lesquelles les aspirations du prolétariat contribuent à orienter le mysticisme vers des visions confuses de transformations sociales qui rêvent d’instituer sur les ruines de l’Église et de l’État, dans le communisme, le règne des justes.

Ce ne sont là sans doute que des exceptions. Mais ce qui est commun à toutes les villes, ce qui constitue un des caractères les plus frappants de leur esprit, c’est leur attitude à l’égard du pouvoir ecclésiastique. Avec elles, les rapports de l’autorité laïque et de l’autorité spirituelle entrent dans une phase nouvelle. Depuis l’époque carolingienne, les conflits qui avaient éclaté entre elles, avaient eu pour cause les efforts des rois pour se soumettre l’Église et la faire servir à leur politique. Ils n’étaient que la conséquence de l’alliance des deux pouvoirs ; la question était de savoir lequel des deux dans la société devait l’emporter. Mais ni l’un ni l’autre ne cherchait à priver son rival de ses prérogatives ou de ses privilèges. C’était le rapport des forces mais non leur nature qui était