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temporelle, les prétentions impériales. Déjà au xie siècle, Othon III s’était bercé de l’espoir de restaurer dans sa splendeur première cette Rome dorée (aurea Roma) dont l’antique gloire continuait à rayonner comme l’idéal de toute grandeur terrestre. Mais ce qui n’était chez lui que rêveries confuses et aspirations sentimentales, devient chez Frédéric une théorie précise.

Au commencement du xiie siècle, l’étude du droit romain avait pris en Italie, particulièrement à Bologne, autour d’Irnerius et de ses élèves, un développement considérable. Le Code de Justinien était, pour ces juristes, une manière d’écriture sainte, la révélation de la loi et de l’ordre civil. De là leur vénération pour le pouvoir impérial considéré par eux comme la condition première du maintien de la société temporelle. On ne peut guère douter que ces doctrines de l’école n’aient exercé leur action sur Barberousse. Par elles, sa conception politique repose, à la différence de celle des Carolingiens et de leurs successeurs, sur une base laïque ; ce ne sont plus des théologiens mais des juristes qui seront chargés de la défendre. Pour la première fois, dans la lutte de l’empereur et du pape se dessine l’opposition du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.

Plusieurs évêques, sans doute, restaient fidèles à Frédéric, et il mit tous ses soins à obtenir de « bonnes élections » des chapitres. Mais il ne pouvait cependant plus s’appuyer sur l’Église allemande dont la situation depuis le Concordat de Worms était si profondément transformée. Il chercha une compensation dans la féodalité laïque. Jusqu’à Henri V, les empereurs pouvant compter sur les évêques, avaient témoigné vis-à-vis de la noblesse féodale, d’une méfiance plus ou moins accentuée. Aussi avait-elle pris parti contre eux en faveur du pape ; depuis le règne de Lothaire de Saxe elle n’avait cessé d’augmenter ainsi son influence qu’elle était même parvenue à imposer aux principautés épiscopales. Frédéric accepta franchement ce nouvel état de choses. Par une singulière contradiction avec la puissance illimitée dont il rêvait comme empereur, il laissa comme roi d’Allemagne, les princes laïques se mettre en possession d’une indépendance politique complète. Au lieu de prétendre s’imposer à eux comme souverain, il chercha plutôt, en intervenant dans leurs querelles ou en flattant leurs ambitions, à se constituer parmi eux une clientèle personnelle. Il agit à leur égard en chef de parti plus qu’en roi et sa politique monarchique consista, au fond, à constituer une faction gibeline en face de