Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orientales pratiquées dans les grandes villes, Palerme, Messine, Syracuse, fournissaient au trésor des revenus plus abondants que partout ailleurs et perçus suivant des formes plus savantes. Accoutumé depuis toujours à l’administration perfectionnée, soit de Byzance, soit de l’Islam, la population se laissait régir docilement. Seule la noblesse normande était à craindre. Si elle avait rapidement perdu sa force première et s’était amollie dans les délices de mœurs à demi-orientales, elle n’en restait pas moins avide et remuante.

L’acquisition d’un pareil royaume mettait Henri VI en possession de ressources qui, comparées aux misérables revenus que l’Allemagne fournissait encore à la royauté, pouvaient passer pour inépuisables. TI se hâta de se faire couronner par le pape, puis rompit avec lui, brisa le lien de suzeraineté qui rattachait la Sicile au Saint-Siège, et renouvela les prétentions de Frédéric sur la ville de Rome et les États de Saint-Pierre. Ses plans allaient bien au delà. Ils ne tendaient à rien moins qu’à reconstituer l’Empire romain, mais cette fois dans ce bassin de la Méditerranée jadis conquis par Rome et que Byzance et l’Islam se partageaient aujourd’hui. Byzance, surtout à ce moment, livrée à l’anarchie au milieu d’intrigues dynastiques, de révolutions de palais et de révoltes militaires, paraît bien avoir tenté l’ambition de l’empereur. Avant lui déjà, elle avait excité les convoitises des princes normands. Le roi Roger II n’avait-il pas profité de la deuxième Croisade pour ravager la Dalmatie, l’Épire et la Grèce, et s’emparer des îles de Zante et de Corfou ? Aussi entreprenant et aussi chimérique que son père, Henri nouait des relations avec les États des croisés en Syrie, avec les princes musulmans de la côte d’Afrique, préparait une grande expédition contre Constantinople, quand sa mort inopinée (27 novembre 1198) dispersa tous ces beaux projets et lui épargna d’ailleurs une guerre, inévitable avec la papauté, qui en eût, même s’il eut vécu, rendu l’exécution impossible.

Grâce à ses richesses siciliennes, il avait réussi à faire élire roi des Romains, par les princes allemands, son fils Frédéric II. L’enfant avait deux ans. Les princes oublièrent aussitôt son existence et s’occupèrent de faire un autre roi. Mais ils n’étaient plus capables de s’entendre. Les deux partis entre lesquels ils se partageaient, le guelfe et le gibelin, n’étaient que deux factions féodales, faisant aussi bon marché l’une que l’autre des intérêts de la royauté et ne cherchant qu’à amener au pouvoir un chef qui laisserait ses électeurs s’agrandir tant au détriment de ses adversaires que de l’État