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sent de l’Empire carolingien comme les Othon et les Henri ou de l’Empire romain comme les Hohenstaufen. Leurs prétentions mettaient donc en péril chez tous les peuples cette indépendance temporelle dont on les fait les défenseurs par la plus étrange des confusions. La cause du pape était la cause des nations et la liberté de l’Église était solidaire de celle des États européens ; elle l’était tellement que la victoire de Philippe Auguste à Bouvines décide de l’une et de l’autre.

L’effondrement d’Othon IV ne mit d’ailleurs pas fin à l’Empire. Il continua de subsister jusqu’au seuil des Temps Contemporains. Napoléon Ier, qui brisa tant de choses en Europe, abolit en 1806 ce vénérable souvenir, par la création de la Confédération du Rhin (juillet 1806). Mais on peut dire cependant qu’à partir du commencement du xiiie siècle, le rôle historique de l’Empire est accompli. Il cesse d’exister comme pouvoir universel, comme autorité européenne. Si les empereurs continuent à s’intituler « empereurs romains toujours augustes », s’ils conservent parmi leurs emblèmes le globe du monde et si, jusqu’à Charles V, ils persistent à se faire couronner à Rome, en fait ils ne sont plus que les souverains, ou pour mieux dire, les suzerains de la bigarrure de principautés et de républiques municipales que constitue l’Allemagne de la fin du Moyen Age et des Temps Modernes, et que l’on désigne depuis le xive siècle sous le nom de « Saint-Empire romain des nations germaniques ».

Depuis la chute de l’Empire, un seul pouvoir universel reste debout en Europe, celui du pape, et son isolement le fait paraître d’autant plus grand. Tout le gouvernement de l’Église aboutit à lui : c’est une monarchie, vraiment universelle celle-ci, et dont la centralisation augmente sans cesse. Tous les évêques prêtent maintenant serment au pape, aucun ordre religieux ne peut se fonder sans son autorisation ; la cour de Rome reçoit les appels de tout le monde chrétien et ses légats veillent en tous pays à l’exécution de ses ordres et au maintien de la discipline. Pour régir un tel corps et pour en diriger l’action, deux choses sont indispensables : un droit et des finances. Le droit canon, dont le plus ancien monument, le décret de Gratien, est publié à Rome en 1150, s’augmente rapidement sous ces grands juristes qu’ont été Innocent III et Innocent IV. Dès la fin du xiiie siècle, il est complet et ne se modifiera plus guère dans la suite. Quant aux finances pontificales, qu’il faut soigneusement distinguer des finances du pape en tant que