Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/237

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Il est certain que, comparés à leurs prédécesseurs du xie siècle, un Grégoire VII, un Innocent IV, et même aux contemporains de Saint Bernard, les grands papes du xiiie siècle présentent un caractère plus terrestre. On dirait qu’ils ont fait descendre Dieu et le ciel dans l’Église. Ils ont donné à celle-ci une force et une majesté incomparable, mais tout de même on y sent trop l’œuvre humaine. C’est un effort admirable pour constituer sur la terre une société parfaite. On pense à une cathédrale gothique, élancée vers le ciel, et qui ne contient tout de même pas le ciel si hautes que soient ses voûtes, ni toute l’humanité si nombreuses que soient ses sculptures où, à côté de Dieu, des saints et des démons, sont représentés les hommes et les rois. De même que le droit ecclésiastique, la théologie est essentiellement une construction du xiiiesiècle. Toute la scolastique antérieure aboutit à la Somme de Saint Thomas (1274) où la morale et les dogmes chrétiens sont exposés suivant la méthode aristotélicienne.

Le point de départ est naturellement la révélation. La foi fournit la base inébranlable d’une construction théologique rationnelle qui enveloppe toute la société et toute la vie. Le but sans doute reste ce qu’il était et ce qu’il a toujours été : le salut éternel. Mais on ne cherche plus à y arriver par le mysticisme, par le contact direct avec Dieu. L’Église s’interpose partout. Un Saint Bernard ne se, comprendrait plus au xiiie siècle comme conseiller de papes qui se montrent défiants envers Saint François d’Assise. Ce que l’on cherche maintenant, c’est le gouvernement des âmes par l’Église, gouvernée elle-même par le vicaire de Jésus-Christ. Et ces âmes, on les accepte dans les corps qu’elles animent, c’est-à-dire qu’on accepte la société : on ne lui demande pas l’héroïsme, ni d’abandonner le monde. Qu’elle obéisse seulement à l’Église et se laisse mener par elle au salut. Toute créature, toute profession est soumise à l’Église, donc au pontife romain. Il y a des péchés de politique (guerre injuste), il y a des péchés de commerce (juste prix) que le droit ecclésiastique définit et châtie. Toute la vie est ainsi placée sous le contrôle perpétuel de l’Église, la vie laïque comme la vie religieuse. Les tribunaux ecclésiastiques par leur forum mixtum sont l’instance ordinaire non seulement pour les gens d’église, mais pour une foule de matières purement laïques : testaments, état civil, mariages, usure, etc. Tous ceux qui ont reçu le baptême appartiennent à l’Église et doivent se plier à ses enseignements, sous peine de pénitence, d’excommunication et, s’il le faut, de Croisade.