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mœurs plus qu’à demi orientales, son harem de femmes musulmanes, l’incrédulité de son gendre Ezzelmo da Romano qui, en mourant (1259) refusa les sacrements, permettent de croire qu’il fut en réalité un « libertin » en matière de foi. Il s’en est d’ailleurs toujours défendu. Bien plus ! il a promulgué contre les hérétiques les lois les plus cruelles qui aient été lancées contre eux avant Charles-Quint. C’est qu’il en attendait de bons effets pour sa politique et que pour lui, comme pour les tyrans italiens du xve siècle auxquels il ressemble d’une manière frappante, tous moyens sont bons pour arriver au but. Le mensonge, le parjure et la cruauté furent ses armes favorites ; elles devaient être plus tard celles d’un Sforza ou d’un Visconti et, pour rendre l’analogie plus complète, il a eu comme eux l’amour de l’art et le respect de la science. On l’a appelé le premier homme moderne sur le trône, mais cela n’est vrai que si l’on entend par homme moderne « le pur despote que rien n’arrête dans la recherche de la puissance ».

Ce Frédéric que les papes devaient traiter plus tard de bête de l’Apocalypse, de serviteur de Satan, de prophète de l’Antéchrist, commença sa carrière sous les auspices d’Innocent III et en qualité d’instrument de l’Église. On a vu plus haut comment Rome le suscita contre Othon de Brunswick et comment la bataille de Bouvines lui valut le trône d’Allemagne. Il lui restait à s’assurer la couronne impériale et, pour l’obtenir du pape, il prodigua les promesses avec une libéralité d’autant plus grande qu’il était décidé à n’en accomplir aucune. Il renonça à tout contrôle sur les élections épiscopales, à toute prétention sur les territoires du Saint-Siège, reconnut le royaume de Sicile comme fief de la papauté, s’engagea à ne jamais le réunir à l’Empire, et prêta serment de se croiser l’année suivante. Comment le pacifique Honorius III, qui venait de succéder à Innocent III, aurait-il résisté à tant de bon vouloir ? Frédéric fut couronné à Rome le 22 novembre 1220.

Depuis lors son long règne se passa presque tout entier en Italie. A l’Allemagne, il ne demanda qu’une chose : ne point lui créer de soucis. En 1233, par le fameux statut in favorem principum, il renonça à l’ombre de pouvoir qu’y conservait encore la royauté, et abandonna aux princes une indépendance complète sous le gouvernement nominal de ses fils, Henri puis Conrad. Ce politique réaliste comprit très bien que c’était là le seul moyen de résoudre la question. En réalité l’Allemagne était devenue ingouvernable. Chercher à y relever le prestige royal, c’eût été se condamner à une