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tèrent au plus offrant la dignité de roi des Romains. L’idée nationale était si complètement étrangère aux princes allemands, et la monarchie leur paraissait chose si accessoire, qu’ils ne songèrent qu’à la vendre aux meilleures conditions. Les uns se laissèrent acheter par Alphonse de Castille, les autres par Richard de Cornouailles, et en 1257, tous deux reçurent la couronne, comme on reçoit livraison d’une marchandise. Sept princes avaient pris part à cette double élection. Ce fut l’origine du collège des électeurs qui resta depuis lors en possession du droit de désigner le roi des Romains

Les marchés conclus par Alphonse et par Richard ne pouvaient être profitables que si le pape s’y intéressait. Mais il suffisait à Rome d’avoir extirpé les Hohenstaufen ; aussi laissa-t-elle les deux concurrents l’accabler de leurs sollicitations sans intervenir ni pour l’un ni pour l’autre. Dans ces conditions, Alphonse ne crut pas même devoir se déranger et on ne le vit jamais en Allemagne. Richard séjourna quelque temps au bord du Rhin, se fit couronner à Aix-la-Chapelle, expédia quelques diplômes, puis fut rappelé en Angleterre par les troubles du règne de Henri III, et ne revint plus. Il mourut en 1273. Les électeurs ne se hâtèrent pas de le remplacer. D’ailleurs Alphonse vivait encore. Mais le pape ne voulait plus entendre parler de lui, par crainte de se brouiller avec le nouveau roi de Sicile, Charles d’Anjou[1]. D’autre part, il avait hâte de mettre fin aux instances de Charles en faveur de la candidature de son neveu, le roi de France, Philippe le Hardi, dont la nomination eût reconstitué, en faveur de la dynastie capétienne, l’Empire de Charlemagne. Il signifia aux électeurs qu’ils eussent à se presser, s’ils ne voulaient qu’il créât lui-même un nouveau roi. Ils s’exécutèrent en 1273 et donnèrent la couronne à Rodolphe de Habsbourg, dont le génie, médiocre comme la fortune, ne pouvait les inquiéter. La période du « grand interrègne » ouverte par la nomination de Henri Raspon en 1246 avait pris fin.

Absorbés par leur duel contre l’Angleterre, les rois de France ne cherchèrent pas à tirer parti de la faiblesse croissante de l’Allemagne pour rouvrir cette question lotharingienne qui avait tant occupé leurs prédécesseurs carolingiens au xe siècle. Philippe Auguste, Louis VIII et Saint Louis entretinrent même les rapports les plus cordiaux avec les Hohenstaufen, que l’alliance des Guelfes

  1. Voyez plus loin, p. 260 et sq.