Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A l’intérieur, l’autorité royale s’imposa sans peine et grandit sans obstacles, parce que ses progrès correspondaient à autant de bienfaits. Jusqu’alors l’administration monarchique avait servi avant tout à assurer les droits de la couronne, à favoriser sa juridiction, à développer et à régulariser ses finances. Elle fut employée sous le nouveau règne à assurer l’ordre public et à améliorer la condition du peuple. Les ordonnances de Saint Louis font penser aux capitulaires de Charlemagne par le christianisme pratique qui les anime. Il n’est pas jusqu’à l’institution des missi dominici qui ne se retrouve dans celle des enquêteurs royaux chargés de contrôler l’action des baillis et de les empêcher d’opprimer leurs justiciables. Charlemagne, on l’a vu, ne put que réaliser bien incomplètement ses vues, faute de moyens d’exécution. Saint Louis possédait au contraire dans le Parlement et dans les fonctionnaires créés par Philippe Auguste le personnel nécessaire à l’accomplissement des siennes. Les guerres privées furent abolies, le servage personnel supprimé sur les terres royales, la juridiction perfectionnée par l’organisation de l’appel, la taille rendue plus équitable. Le Parlement soumit les cours judiciaires des provinces à son contrôle et son action contribua à l’unification du droit et à la suppression d’usages surannés comme le combat judiciaire et les ordalies. Une chambre des comptes en introduisant la régularité dans les finances contribua à soulager les contribuables. Le désordre monétaire prit fin par la grande réforme qui rendit en fait à la couronne la frappe des espèces monétaires, ou du moins obligea les princes qui continuaient à battre monnaie à se conformer aux règles en vigueur pour les monnaies royales. Dans l’administration courante, le français prit décidément la place du latin et la langue des affaires cessa d’être inintelligible aux administrés. Pour la première fois, le peuple sentait que le gouvernement n’était pas seulement une machine à le pressurer, un instrument d’exaction ; pour la première fois, le fonctionnaire cessait de lui apparaître comme un maître et se transformait en protecteur ; pour la première fois, il sentait que la force de la royauté s’alliait à la justice, que le roi de loin veillait sur lui et compatissait à ses misères. La royauté devenait populaire ; elle s’enracinait dans toutes les provinces, ralliait à elle l’opinion publique, se manifestait nécessaire, indispensable, parce que bienfaisante. C’est de Saint Louis, semble-t-il, que date en France cette forme de sentiment national qui s’exprime par le culte de la monarchie. Le royaume devient une patrie dont