Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/276

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convaincre un roi qui estimait surtout dans sa couronne les devoirs qu’elle lui imposait à l’égard de Dieu, c’est-à-dire de l’Église. Plus son royaume était paisible et prospère, plus il lui tardait de partir. L’enthousiasme des premiers croisés revivait dans ce prince par qui s’achève l’histoire des Croisades. Sont-ce bien encore des Croisades d’ailleurs que les deux expéditions qu’il entreprit contre l’Islam, la première en 1248, la seconde en 1270 ? Oui, si l’on en considère le but, non si l’on envisage leur composition. La chrétienté dans son ensemble leur demeura complètement étrangère. Ce furent deux entreprises purement françaises et dans lesquelles la chevalerie suivit le roi beaucoup plus par dévouement, par loyalisme, par amour des aventures, que par passion religieuse. L’une et l’autre d’ailleurs échouèrent complètement. Ce. n’est qu’après dix ans d’efforts (1248-1254), après s’être obstiné au siège de Damiette, après être tombé aux mains des Turcs, après avoir vu mourir ses plus chers compagnons et supporté douloureusement les reproches des autres, que le roi se résigna enfin au retour. Il aurait sans doute montré la même constance dans la seconde (1270) si, à peine débarqué sur la plage de Tunis, la maladie ne lui avait procuré la fin qu’il avait toujours rêvée : celle de mourir en combattant pour la foi. Sa mort rompit une entreprise à laquelle personne, sauf lui, n’avait pris part avec sincérité. C’était par intérêt pour son frère, le nouveau roi de Sicile, Charles d’Anjou, qui prétendait à la suzeraineté de Tunis, que Saint Louis s’était dirigé vers cette ville avant de cingler sur l’Égypte. Le saint roi venait de servir, sans s’en douter, d’instrument à la politique réaliste et conquérante que son règne avait interrompue un instant.

La question de Sicile, autour de laquelle s’était déchaînée la lutte du pape et de Frédéric II, n’avait pas été tranchée par la mort de l’empereur. Après la fin prématurée de son fils Conrad IV son bâtard Manfred, au lieu d’administrer le pays au nom de l’héritier de Conrad (qui a conservé dans l’histoire le nom de Conradino que les Italiens lui ont donné), s’en était attribué la couronne (1258). Alexandre IV, qui venait de succéder à Innocent IV, avait d’abord cédé aux propositions du roi d’Angleterre et investi de la Sicile le fils de celui-ci, Edmond, un enfant qui ne pouvait rien faire et ne fit rien. Il fallait en finir et charger un prince puissant, et sur lequel Rome pût compter, de replacer définitivement la Sicile sous la suzeraineté du Saint-Siège. Seule la France pouvait fournir un tel prince. Saint Louis ayant refusé la couronne pour son fils cadet,