Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/278

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On pourrait définir la politique de Charles d’Anjou en disant qu’elle est celle des derniers Hohenstaufen, mais avec cette différence encore que la papauté l’appuie au lieu de la combattre. Comme Henri VI et Frédéric II, en effet, Charles conserve et même renforce son absolutisme en Sicile ; comme eux, il travaille à soumettre toute l’Italie à sa direction ; comme eux enfin, il rêve d’étendre sa puissance à l’Orient. Rome s’effraye des progrès de cet allié dans lequel elle avait espéré une créature et qui maintenant s’impose et l’entraîne à sa suite. Mais pour lui échapper, il faudrait pouvoir lui opposer un rival, qui forcément s’appuierait sur les Gibelins et sur les mécontents de Sicile qui se recrutent parmi ces partisans des odieux Hohenstaufen. D’ailleurs, si gênant qu’il soit, Charles est un fils zélé de l’Église ; il a rendu au clergé sicilien ses privilèges, et ses projets sur Constantinople, où l’Empire latin vient de disparaître (1261) et où les Paléologues ont ramené le schisme, peuvent servir à y rétablir l’union d’obédience qui reste un des objectifs essentiels de la politique du Saint-Siège. L’empereur Michel n’ignore pas les dangers qui le menacent. Sourdement, il entretient en Sicile la fomentation que les procédés hautains et l’arrogance des Français qui y ont suivi le nouveau roi augmentent de jour en jour. Et ses intrigues sont activement secondées par le roi d’Aragon, Pierre III, qui a épousé une fille de Manfred et convoite la succession de son beau-père.

L’Espagne, où les progrès des royaumes chrétiens sur les États musulmans n’ont cessé de grandir depuis le commencement du xiiie siècle, et où Barcelone commence à participer activement au commerce de la Méditerranée, apparaît ici pour la première fois sur la scène de la politique européenne. Sa situation géographique devait forcément lui imposer, dès qu’elle en aurait la force, une politique maritime et la faire intervenir à son tour dans le bassin de la mer intérieure que ses côtes fermaient à l’Occident. Pierre d’Aragon agit avec autant d’habileté que de vigueur. Ses excitations eurent une grande part à la révolte qui éclata à Messines en 1282 et à laquelle la postérité a conservé le nom de « Vêpres siciliennes ». Elle se répandit aussitôt dans toute l’île. Charles y envoya la flotte qu’il avait préparée pour l’attaque de Constantinople. Elle fut détruite par l’amiral d’Aragon, André Loria, devant Trapani, dans une bataille qui amorce glorieusement l’histoire de la marine espagnole. Charles mourut peu après en 1285, sans avoir pu venir à bout de l’insurrection. Son fils Charles II lui succéda et