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d’avoir vu tant de pèlerins prosternés à ses pieds, il crut que les rois et les peuples étaient tout prêts à s’incliner aussi devant ses ordres. Il put bientôt s’apercevoir que la sincérité de leur ferveur religieuse et de leur dévouement à l’Église n’allait pas jusqu’au sacrifice de leur indépendance et de leur dignité.

Édouard Ier avait profité de sa paix avec Philippe le Bel pour se retourner contre des Écossais. A l’appel de ceux-ci, Boniface VIII était intervenu, l’avait accusé de violence et d’injustice et revendiqué le droit de prononcer entre les deux parties. Il ne s’adressait qu’au roi ; le roi résolut de s’adresser à la nation, et au mois de janvier 1301, le Parlement fut appelé à se prononcer sur les prétentions du pape. Ainsi, cette fameuse question de la souveraineté temporelle et de ses limites dont ne s’étaient occupés jusqu’alors que des ermites, des théologiens et des légistes, allait être abordée par les mandataires de tout un peuple. Leur réponse fut une affirmation catégorique des droits souverains de la couronne. Prélats, barons, chevaliers et bourgeois furent également indignés de l’immixtion du pape dans une guerre qui était populaire et qu’avait glorieusement terminée la bataille de Falkirk (22 juillet 1298). « Jamais », répondirent-ils, « nous ne souffrirons que notre roi se soumette à des exigences aussi inouïes. »

Boniface ne releva pas ces paroles. Au moment où elles lui parvinrent, ses relations avec la France avaient pris un tel caractère de gravité qu’elles ne lui permettaient pas de les compliquer d’une querelle avec l’Angleterre. A la demande de l’archevêque de Narbonne, se plaignant de la confiscation de certains fiefs relevant prétendument de son Église, il avait envoyé à Paris comme légat, l’évêque de Pamiers, Bernard Saisset. Le langage hautain du légat avait blessé le roi. Il n’en montra rien, le laissa rendre compte de sa mission à Rome, puis, à peine revenu dans son évêché, le fit arrêter et accuser par Pierre Flote, son chancelier, de lèse-majesté, de rébellion, d’hérésie, de blasphème et de simonie. Une assemblée de prélats et de docteurs le reconnut coupable, et demande fut faite au pape de le destituer de ses fonctions épiscopales.

À ces mesures, le pape répondit en exigeant la libération immédiate de Saisset, en remettant en vigueur la défense d’imposer les biens d’église et en convoquant à Rome le clergé de France pour délibérer avec lui sur les moyens d’amender le roi. En même temps, il adressait personnellement à celui-ci la bulle Ausculta fili dans laquelle il lui rappelait que Dieu avait placé le successeur de Saint