Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/328

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d’abord combien les Italiens et les Français y dominent, puis combien peu de temps ils restent en fonction, enfin que presque tous appartiennent à la haute noblesse. Ce sont là les résultats inévitables du système. Non seulement il abandonne les postes les plus élevés de la hiérarchie à des cadets de grandes familles, non seulement il introduit dans une foule de diocèses des prélats étrangers aux mœurs et à la langue des fidèles, mais il a encore pour résultat de multiplier les translations d’un siège à un autre, chacune d’elles étant pour la curie la source de taxes proportionnées au revenu du siège vacant (annates). Rien d’étonnant si Sainte Brigitte adjure Grégoire XI († 1378) de détruire le « lupanar » qu’est devenue la Sainte-Église.

Au scandale que de telles pratiques donnaient aux âmes pieuses, s’ajoutait le mécontentement de tous ceux qu’elles lésaient, dans leurs intérêts ou dont elles froissaient l’amour propre national. Le haut clergé et les princes allemands s’indignaient de voir la curie favoriser systématiquement les Italiens et les Français et de ce que les lourdes taxes imposées à leurs diocèses profitassent surtout à des étrangers. Mais l’Allemagne morcelée et divisée était sans force et ses plaintes ne faisaient qu’attester son impuissance. Il en était autrement en Angleterre. Dès la fin du règne d’Édouard III, le Parlement entame une énergique campagne contre le droit que s’arroge la curie de taxer l’Église nationale et de ne pas en réserver toutes les dignités et bénéfices aux sujets du roi. L’hostilité que la guerre a soulevée contre la France s’en prend au pape dont la partialité pour cette puissance n’est que trop visible depuis qu’il a quitté Rome pour Avignon. En 1376, le « bon Parlement » exige la suppression des Reservationes et des Provisiones, l’expulsion des collecteurs pontificaux et la défense d’exporter de l’argent hors du royaume. Déjà, du sein des communes s’élèvent des voix réclamant la sécularisation des biens de l’Église anglaise.

C’est au milieu de cette agitation politique que commence le rôle de Wyclif. Il n’est guère possible qu’elle n’ait agi directement sur ses idées religieuses. On peut noter chez lui pour la première fois cette concordance, ou pour mieux dire, cette alliance inconsciente de la spéculation et de la pratique, de l’universalité des tendances et du souci pour le bien de la nation, qui devait dans la suite caractériser le génie de tant de penseurs anglais, et qui s’explique sans doute par la forte solidarité nationale dont leur peuple a été doué par les circonstances, bien avant tous les autres peuples de l’Europe.