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pape, une trêve fut conclue en septembre 1347, que l’apparition de la peste noire fit prolonger l’année suivante et qui, de renouvellement en renouvellement, dura jusqu’en 1355.

Des deux côtés on avait profité de ce repos pour préparer une action décisive. Grâce aux subsides du Parlement, les Anglais avaient rassemblé trois armées, l’une en Guyenne, l’autre en Bretagne, la troisième en Normandie. Le nouveau roi de France, Jean II le Bon[1](1350-1364), s’était décidé à convoquer les États généraux qui lui avaient donné les moyens d’équiper 30.000 hommes. Il les conduisit à la rencontre du Prince Noir qui ravageait la Guyenne. La bataille qu’il lui livra à Maupertuis, près de Poitiers le 19 septembre 1356, s’acheva par une catastrophe plus éclatante encore que celle de Crécy. Jean lui-même fut fait prisonnier et envoyé captif en Angleterre.

Ce désastre déchaîna aussitôt en France la première des crises à laquelle la royauté allait depuis lors avoir à faire face jusqu’au milieu du xv{{}}e siècle. Les États généraux de 1355, dans lesquels dominaient l’influence de la bourgeoisie conduite par le prévôt des marchands de Paris, Étienne Marcel, n’avaient consenti aux impôts demandés par le roi qu’en exigeant une large part d’intervention dans le gouvernement. Ils avaient stipulé qu’ils percevraient eux-mêmes et administreraient les nouveaux impôts, et réclamé des garanties touchant leur droit de se réunir à l’avenir et l’introduction de réformes dans l’administration. Une grande victoire eût sans doute permis au roi d’étouffer une opposition que sa mauvaise fortune rendit irrésistible. Elle se montra d’autant plus hardie qu’elle était encouragée par le roi de Navarre, Charles le Mauvais, ambitieux sans scrupules et d’autant plus porté à embrouiller la situation qu’il ne pouvait compter que sur le désordre pour faire valoir, en qualité de fils de Jeanne d’Evreux, ses droits prétendus à la couronne de France.

Ainsi, la royauté française se voyait tout à coup, au milieu du xive siècle, obligée de compter avec cette bourgeoisie qui l’avait aidée jadis à combattre la féodalité et à faire l’unité du royaume. Incontesté et indiscuté depuis un siècle, le pouvoir monarchique était sommé d’associer la nation à son exercice. La France, après la bataille de Poitiers, présentait le même spectacle qu’avait donné

  1. Jean Ier est le fils posthume de Louis X, qui mourut après quelques jours et à qui succéda Philippe V.