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A l’intérieur, la lutte est continuelle entre les princes et les villes et, dans ce pays sans pouvoir central, elle maintient une insécurité dont profite avec joie la petite noblesse pour laquelle le pillage des marchands est un moyen d’existence normal. Le Raubritter qui ailleurs serait militaire ou fonctionnaire, est ici un détrousseur professionnel.

Quant aux principautés, à part la Bavière et les territoires des maisons de Luxembourg et de Habsbourg, aucune n’est très grande. Et elles sont bien moins solides que, par exemple, celles d’Italie. Il y a encore des partages continuels entre les enfants des princes. A l’intérieur, l’administration est rudimentaire. S’il y a des assemblées d’États, la bourgeoisie n’est nulle part assez puissante pour y contrebalancer la noblesse qui a tout à dire et s’impose au pays. Ces nobles sont en grande partie d’origine non libre. Ils sont encore nombreux au xive siècle. Le prince s’entoure d’eux et recrute dans leur groupe ses hommes de confiance. Il y a là un état de force brutale tout à fait inconnu ailleurs. Les paysans, depuis le milieu du xive siècle livrés à cette noblesse, commencent à se ravaler dans le servage[1]. Car l’émigration n’est plus possible et il n’y a pas comme ailleurs un roi qui pourrait intervenir. Ce sera un des côtés les plus frappants de la vie allemande que cette régression du peuple dans la servitude sous une noblesse qui est elle-même en partie d’origine servile. Il y a eu des résistances. On peut y rattacher l’origine de la confédération suisse dont les trois cantons primitifs, Schwiz, Uri et Unterwalden, battent en 1315 Léopold d’Autriche, à Morgarten. C’est le point de départ d’une fédération à laquelle s’associèrent plus tard Lucerne (1332), Zurich (1351), Berne (1353) et que la bataille de Sempach contre Léopold III d’Autriche, en 1386, devait venir consolider.

Cette tendance centrifuge de l’Allemagne ne s’explique pas seulement par la faiblesse de la royauté. Il faut aussi tenir compte de ce que la vie économique du pays jusqu’au milieu du XVe siècle est peu développée. Elle n’a aucune unité. Au bord de la côte, la Hanse transporte les blés du nord vers la Flandre, et en ramène les produits d’Orient. Le Rhin gravite vers les Pays-Bas. Mais son importance diminue depuis que la navigation est directe entre la Flandre et l’Italie. Au sud, les villes entretiennent des rapports

  1. En Flandre le servage disparaît au Xxiiie siècle. En France il s’efface grandement au xive siècle.