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ne se rencontre chez aucun autre peuple barbare. Elle fut essentiellement commerciale. Les Vikings, installés autour de leurs princes dans des enceintes fortifiées (gorod) établies le long du Dniéper et de ses affluents, soumirent la population slave à des tributs consistant surtout en miel, en cire et en fourrures que fournissaient amplement, dans cette région de forêts, la chasse et l’élevage des abeilles. Chaque année, au printemps, leurs barques réunies à Kiev, transportaient ces denrées à Constantinople, ainsi qu’un nombre considérable d’esclaves, et en ramenaient en échange du vin, des étoffes et des objets manufacturés. Lorsque, au commencement du xie siècle, les Scandinaves se furent slavisés, ces pratiques commerciales aussi bien que l’exploitation politique de la population rurale ne disparurent pas, leur aristocratie de boyards, à la fois militaire, marchande et urbaine, dominant le reste de la nation. Tel fut le trait saillant de l’État russe de cette époque.

En rapports constants, avec Byzance, les Russes ne pouvaient tarder à en recevoir le christianisme. Déjà, dans la première moitié du xe siècle, il commençait à s’infiltrer par le commerce parmi les habitants de Kiev. La princesse Olga le professa ouvertement dès 955-957. Cependant le paganisme se maintint comme religion dominante jusque sous le règne de son petit-fils Vladimir qui fit encore procéder à des sacrifices humains et dont la tradition ecclésiastique compare les 800 concubines, qu’elle lui attribue sans doute un peu généreusement, à celles de Salomon. Mais après son mariage avec une princesse grecque, l’événement inévitable s’accomplit (983). La conversion du prince entraîna aussitôt les boyards. Celle du peuple s’accomplit par des moyens dont la simplicité rappelle ceux de Charlemagne à l’égard des Saxons. Les habitants de Kiev furent baptisés en masse dans les eaux du Dniéper. On abattit les idoles, et le prince ordonna d’élever des églises sur l’emplacement des temples païens. Pour fournir au recrutement du clergé, il fit enlever leurs enfants aux familles principales et confia leur instruction aux prêtres grecs et bulgares envoyés de Byzance pour diriger les premiers pas de la jeune Église russe.

Si des causes extérieures n’étaient pas venues l’entraver, le développement historique de la Russie la destinait à s’orienter de plus en plus vers Constantinople. Cette grande ville n’était pas seulement pour elle, comme Rome pour les chrétiens d’Occident, le centre religieux par excellence, elle était encore le grand marché du commerce et, à ce double titre, son influence devait se faire sentir