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et de l’occident. Avant l’arrivée de ces barbares, ils se trouvaient en contact immédiat les uns avec les autres, de la Thrace jusqu’aux bords de la Mer Baltique. Si cet état de choses s’était perpétué, il est certain que l’Église grecque qui, dès le ixe siècle avait converti les Bulgares et les Serbes, eût continué son apostolat, favorisé par la communauté des mœurs et de la langue, chez leurs frères de Bohême et de Pologne et les eût rattachés à elle comme elle devait, au xe siècle, y rattacher les Russes. L’arrivée imprévue et soudaine des Hongrois disposa, l’avenir tout autrement. En pénétrant dans la vallée du Danube, ils s’interposèrent entre les Slaves et les répartirent en deux groupes qui ne devaient plus désormais avoir rien de commun. Séparés de Byzance en même temps qu’ils étaient séparés des Serbes et des Bulgares, les Tchèques et les Polonais, passèrent naturellement comme les Hongrois eux-mêmes à l’Église latine.

Leur conversion répondait tout ensemble au zèle religieux et à l’intérêt politique des souverains allemands. Othon Ier ne manqua pas de rattacher à la métropole germanique de Mayence les jeunes évêchés slaves en même temps qu’il soumettait les princes de Bohême et de Pologne à un protectorat assez mal défini. Ses successeurs embarrassés par leurs expéditions en Italie, puis absorbés par la guerre des investitures, bien loin de continuer ses efforts, ne purent pas même en sauvegarder les résultats. Prague en Bohême, Gnesen en Pologne, devinrent des archevêchés indépendants, tandis que les diocèses érigés chez les Wendes de la rive droite de l’Elbe disparaissaient, laissant le champ libre au paganisme.

On a vu plus haut comment la grande révolution économique du xiie siècle eut cette conséquence inattendue de provoquer un recul de la nationalité slave au profit de la nationalité germanique. L’excédent de la population rurale de l’Allemagne s’épancha sur les pays de la rive droite de l’Elbe où les chevaliers saxons massacrèrent, à mesure qu’elle avançait, les indigènes païens. L’Ordre teutonique continua au xiiie siècle, sous couleur d’évangélisation, et ce massacre et ce peuplement. La Prusse fut germanisée par eux comme venaient de l’être le Mecklembourg et la Marche de Brandebourg. Les rives de la Baltique, de Slaves qu’elles avaient été jusqu’alors, devinrent allemandes. Les Polonais qui cherchaient à s’étendre jusqu’à elles à travers la Poméranie, en étaient coupés.

La constitution politique de la Bohême et de la Pologne avait présenté jusqu’alors le développement naturel de ces institutions