Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/396

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comme eux, sous ce régime théocratique où l’alliance intime du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel a fait de celui-ci le propagateur de tout ce que l’Église conservait encore de l’administration, du droit, de la science et des lettres de Rome. L’Empire des Othon, trop tôt et trop exclusivement orienté vers l’Italie, a renoncé à les soumettre à son influence et la pénétration occidentale ne s’est accomplie chez eux que par l’intermédiaire de leurs évêques et de leurs moines. Mais, livrés à leurs propres forces, dépouillés de puissance politique et situés trop loin des foyers de la vie religieuse, leur action est forcément demeurée très superficielle et n’a pas dépassé le domaine du culte et de la discipline. On ne rencontre chez ces peuples ni l’organisation domaniale, ni la féodalité ; ils ne participent ni à la guerre des investitures, ni à la Croisade. La seule conséquence pour eux de cette grande épopée a été le refuge cherché dans leurs régions par les Juifs que traquent au delà de l’Elbe les fidèles du Christ. Puis, quand la vie économique de l’Occident s’anime sous l’influence du commerce et que les bourgeoisies commencent à essaimer entre la Méditerranée et la Mer du Nord, c’est par l’afflux soudain de la colonisation allemande que ce grand mouvement leur est révélé. Attardés dans leurs vieilles institutions agricoles, ils cèdent à la poussée ; reculent le long de l’Elbe devant les envahisseurs, les laissant s’installer chez eux et fonder des villes qui, au milieu de leur masse nationale, restent des îlots étrangers. Avec l’arrivée de ces nouveaux venus qui les méprisent mais dont ils ont besoin, s’ouvre une époque de germanisation superficielle qui dure jusque vers le milieu du xive siècle. Alors commence à se marquer une réaction dont, à peu près à la même date, Charles IV en Bohême, Casimir Ier en Pologne et Louis Ier en Hongrie sont les instruments. La pénétration allemande cesse et, dans les trois pays, on assiste à un éveil de l’énergie nationale. Sous des formes très différentes, l’explosion du hussitisme en Bohême, la conquête de la Prusse par la Pologne, la poussée de la Hongrie vers l’Adriatique, en sont des manifestations évidentes. Il semble que le moment soit venu alors où Slaves occidentaux et Hongrois vont prendre une part active à la civilisation européenne. Mais les Turcs s’avancent à travers la Péninsule des Balkans et il va leur falloir en supporter le choc, se retourner vers l’est, et défendre cette civilisation occidentale au lieu de pouvoir se mettre à y collaborer.