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contre l’ennemi commun. Malheureusement les rois de Castille et d’Aragon, sans cesse aux prises les uns avec les autres ou obligés de se défendre contre les prétentions de la noblesse, ne fournissaient à l’ennemi que trop de facilités pour se relever de leurs coups et prendre une revanche. En 1195, l’émir Iacub Almansor remportait à Alarcos, sur le roi Alphonse VIII de Castille, une si éclatante victoire que l’on put craindre un instant une catastrophe générale. Mais la papauté, dans ses plans de guerre sainte, n’avait jamais perdu du regard cette aile droite de la chrétienté que l’Espagne occupait. Innocent III intervint aussitôt. Il excita les fidèles à prendre la croix, envoya de l’argent et étendit sa protection sur les rois insulaires. Pierre II d’Aragon vint se faire couronner par lui et reconnut son royaume comme fief du Saint-Siège. Grâce aux exhortations de Rome, l’Aragon, la Castille, le Léon, le Portugal unirent cette fois leurs forces. En 1212, la bataille de Navas de Tolosa vengeait la défaite d’Alarcos et brisait la résistance musulmane.

Depuis lors, l’avance des chrétiens est irrésistible et définitive. Jayme II d’Aragon (1213-1276) prend pied aux Baléares et en 1238 s’empare de Valence. Fernand III de Castille se rend maître en 1236 de Cordoue, et de Séville en 1248. Cependant Alphonse III de Portugal annexe les Algarves et donne au royaume l’étendue qu’il a conservée jusqu’aujourd’hui. De toutes ses possessions d’Espagne il ne demeure à l’Islam que le territoire de Grenade, encore est-il soumis à la vassalité de la Castille.

A mesure qu’ils s’agrandissaient au détriment des Maures en s’étendant vers le sud, les États espagnols, si nombreux au début, devenaient plus compacts en s’agglomérant les uns aux autres. Ceux d’Asturies, de Galice, de Léon (1230) s’unissaient à la Castille ; la Catalogne s’adjoignait à l’Aragon. La Navarre, passée d’ailleurs à une dynastie française, et trop resserrée dans les montagnes pour pouvoir encore concourir avec ses voisins plus heureux, se confine dans une existence locale. Le Portugal, essentiellement orienté à l’ouest par le grand développement de ses côtes et le cours de ses fleuves, Douro et Tage, tourne pour ainsi dire le dos à la Péninsule que se partagent la Castille et l’Aragon. De ces deux royaumes, le premier est de beaucoup le plus considérable par son étendue, mais le second est le mieux situé et par cela même est entré bien plus tôt en contact avec le dehors. Je ne pense pas ici aux fiefs considérables que la dynastie aragonnaise possède depuis longtemps