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nales l’idéal de beauté qu’ils y avaient découvert. Écrire est devenu un art, un art qui, s’il s’inspire de l’Antiquité, ne s’y asservit pas et garde vis-à-vis d’elle la même liberté dont la sculpture et l’architecture de la Renaissance témoignent de leur côté à l’égard de leurs modèles grecs et romains. On s’assimile les formes et les pensées antiques sans se laisser dominer par elles. Les esprits sont assez affranchis pour conserver leur indépendance et ne point abdiquer leur personnalité et leur originalité. On imite, ou si l’on veut même, on pastiche les anciens lorsqu’on écrit en latin. Mais dès qu’on passe à la langue nationale, on cherche à rivaliser avec eux, librement, et l’imitation fait place à l’émulation. L’admiration de l’Antique et ses leçons n’ont servi qu’à susciter et à affiner sans l’étouffer le génie créateur. Cela est vrai d’un Donatello, d’un Andrea del Sarto, d’un Bramante, d’un Rafaël, comme d’un Arioste, d’un Tasse, d’un Guichardin ou d’un Machiavel.

Ces deux derniers noms rappellent combien, en même temps qu’elle s’élève en beauté, la littérature nationale s’étend et s’approfondit par la pensée. Sans doute, le latin restera longtemps encore la langue de la science. Mais il n’en a plus le monopole. Les langues modernes sont maintenant assez souples et assez riches pour se prêter à l’expression des idées les plus hautes, et celui qui s’en sert est sûr de trouver des lecteurs dans cette aristocratie intellectuelle chez laquelle s’est éveillé le besoin de penser. La curiosité est universelle. De la philosophie antique, on ne connaissait guère qu’Aristote, et l’image qu’en avaient fait les scolastiques l’a discrédité. On ne s’en porte qu’avec plus d’enthousiasme vers le Platonisme. La littérature grecque, que dès avant la prise de Constantinople par les Turcs, des réfugiés byzantins sont venus révéler à l’Italie, ouvre à l’esprit des horizons nouveaux. Déjà même, quelques précurseurs rêvent d’aller plus loin encore et abordent le domaine des études hébraïques et de la philologie orientale. Enfin, les sciences exactes commencent leur glorieuse carrière. La physique, l’astronomie, les mathématiques fleurissent dans ce printemps de la pensée moderne qui donne à l’Italie du xve siècle son charme incomparable. Il ne faut pas oublier que Copernic a étudié à Padoue et à Bologne, et que les travaux scientifiques de Toscanelli et de Luca Paccioli ont largement contribué à la découverte du Nouveau Monde.