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Dès les premières années du xvie siècle, les conséquences de ces merveilleuses découvertes se manifestent dans la vie économique de l’Europe. La première fut de déplacer le centre du commerce oriental des ports italiens de la Méditerranée aux côtes de l’Océan Atlantique. Les épices que les caravanes apportaient des échelles du Levant aux bateaux de Gênes et de Venise, ne purent bientôt plus soutenir la concurrence, ni pour la quantité, ni pour le prix, avec celles que les navires portugais et espagnols allaient chercher directement aux lieux de productions par delà l’Équateur. L’Italie qui avait été jusqu’alors l’intermédiaire de l’Europe avec ces Indes si longtemps mystérieuses, vit se tarir pour longtemps la source de sa prospérité. La Méditerranée perdit, jusqu’au jour où le percement du canal de Suez (1869) devait en faire le passage vers l’Océan Indien, ce caractère de berceau du grand commerce dont elle avait joui sans interruption depuis l’aurore de la civilisation. Ce n’est pas d’ailleurs que l’Espagne et le Portugal aient occupé la place qu’elle abandonnait. Ni Cadix, ni Lisbonne ne furent les héritières de Venise et de Gênes. L’hégémonie commerciale dont elles avaient joui jusqu’alors échut en partage à Anvers.

On voit à cela deux raisons. Tout d’abord, l’importance internationale d’un port dépend à la fois de l’importation et de l’exportation. Il ne suffit pas que les navires viennent y apporter des marchandises ; il faut qu’ils puissent en prendre en échange. Venise et Gênes dans le sud, comme Bruges dans le nord, avaient durant le Moyen Age répondu à ces conditions, les premières grâce à l’industrie des villes italiennes, la seconde grâce à celles des villes des Pays-Bas. De plus leur situation géographique les mettaient en rapports avec l’Europe intérieure dont les routes se dirigeaient vers elles et y déversaient facilement les produits de l’hinterland. Ni à l’un ni à l’autre point de vue, les ports hibériques ne se trouvaient dans une situation aussi favorable. Leur position excentrique aussi bien que le peu de développement de l’industrie nationale les mettaient hors d’état d’attirer vers eux une puissante importation. Enfin, la manière dont le commerce des épices et des métaux précieux était pratiquée en Portugal et en Espagne y empêcha la naissance de puissantes maisons d’affaires. La couronne qui possédait les comptoirs et les colonies d’outre-mer en excluait les étrangers, et se réservait, à titre de monopole, la plus grande partie des arrivages. Ses agents étaient chargés de la vente mais afin de rendre celle-ci plus prompte et plus facile, on se garda d’en