Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/434

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système nouveau de la manufacture. Ici, conformément au « droit commun », l’employeur et l’employé contractent directement. Entre eux ne s’interpose aucune autorité, aucune association. L’un vend son travail, l’autre l’achète et le prix ne relève que de leur « libre » volonté. Cela revient à dire qu’il est, en fait, imposé au plus faible par le plus fort. Privés de toute organisation, soit en ville, soit à la campagne, les ouvriers des nouvelles industries doivent se courber sous la loi du capitaliste. Le travail à façon qui découle de la nature même de l’industrie à domicile, se prête particulièrement bien, grâce aux conventions de tout genre dont on peut l’entourer, à l’exploitation des travailleurs. En fait, depuis le commencement du xvie siècle, les preuves abondent de la misère de leur condition et de leur mécontentement. La hausse des prix au milieu du siècle l’exaspère encore et contribuera pour une grande part au succès que la propagande mi-sociale, mi-religieuse des Anabaptistes rencontrera parmi eux. Quant au gouvernement, il les abandonne et les ignore aussi longtemps qu’ils ne troublent pas l’ordre publie. Si un précurseur comme Thomas Morus a pu rêver dans son Utopie (1516) d’une législation du travail à forme communiste, l’État et les pouvoirs publics n’envisagent et n’envisageront encore durant de longs siècles ce que l’on appellerait aujourd’hui la question ouvrière, que sous le rapport de la police. De là leur intervention depuis la fin du xve siècle contre les abus de la mendicité et, un peu plus tard, leurs réformes dans le domaine de la bienfaisance.

Ici encore, et d’une manière frappante, on peut observer combien les transformations sociales ont affaibli l’influence de l’Église. Le magnifique élan de charité chrétienne qu’elle avait provoqué au Moyen Age ne répond plus ni aux besoins, ni à l’esprit du temps. Car, d’accord avec son idéal mystique, les innombrables fondations charitables qu’elle a provoquées se bornent à secourir le pauvre, à l’entretenir dans sa condition sans chercher à l’en faire sortir. Il a sa place marquée dans la société et les âmes les plus pieuses lui vouent même une vénération qu’explique suffisamment le sentiment ascétique de l’époque. Mais à mesure que ce sentiment décline, l’auréole de sainteté qui entourait le mendiant se dissipe. On commence à le considérer comme un vagabond dangereux pour l’ordre public, comme un fainéant professionnel. D’autre part, la législation de plus en plus restrictive des métiers urbains qui empêche quantité de gens de trouver un emploi, le licenciement de bandes de mercenaires qui enlève le leur à d’anciens soldats,