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léguée à Beford. Il y a là un commencement de « galanterie » qui est tout ce qu’il y a de plus opposé à la courtoisie du Moyen Age. Il ne faut pas oublier non plus le développement du luxe de la cour qui explique en partie la fortune de Jacques Cœur. Remarquez de plus que les hôtels privés, Gruuthuse à Bruges, hôtel Cœur à Bourges, hôtel Bourgtheroulde à Rouen, sont du xve siècle, et qu’il ne s’en trouve pas auparavant. L’amour du luxe a contribué sans doute à répandre cette vénalité qui apparaît si frappante dans les mœurs politiques et dont il suffit de lire Cominnes pour se convaincre. Mais ce luxe, on l’a vu par les tableaux, n’est pas purement matériel. Il s’étend à l’art et à la littérature. Je crois que le xve siècle peut être considéré comme le moment où les laïques ont commencé à lire. Il est intéressant de se demander ce qu’ils ont lu. De quoi se compose la littérature en langue vulgaire ? Quels sont les premiers livres imprimés ? Quand Caxton ouvre son imprimerie à Londres, sa clientèle, qui se compose surtout de nobles mais parmi laquelle se rencontre aussi un mercier de la cité, lui demande des traductions du français et du latin. Lui-même traduit l’Eneide. Il pense surtout à fournir des lectures aux noble men. Naturellement l’Antiquité ne fournit qu’une partie des lectures du temps. On lit tout, sans choix, mais avec avidité. L’ancienne littérature héroïque se mue en simples romans. On dévore pêle-mêle des Moralités, la Légende dorée, les Dits des philosophes, l’Ordre de Chevalerie, etc. L’imprimerie n’a pas créé le goût de la lecture qui lui est antérieur mais a hâté sa diffusion. Serait-ce trop de dire que, pour la première fois depuis Charlemagne, l’aristocratie se remet à lire ? Mais la grande différence d’avec l’époque de Charlemagne et le Moyen Age, c’est que la culture qu’ils acquièrent ainsi est purement laïque. L’Église n’y a aucune part. Évidemment, l’intérêt pour les choses intellectuelles s’éveille dans le monde. Édouard IV s’intéresse à la traduction de Cicéron par Caxton, et celle de l’Ordre de Chevalerie est dédiée à Richard III. Louis XI protège en France les commencements de l’imprimerie. Les ducs de Bourgogne et Marguerite d’York, comme le comte Rivers, la duchesse Marguerite de Somerset, bien d’autres, sont de véritables mécènes.

On ne peut douter qu’il n’y ait là une soif d’apprendre qui cherche à s’étancher, un éveil, inconscient je le veux bien, mais un éveil tout de même de la curiosité qui veut voir par delà les limites trop étroites où les traditions de caste et de religion l’ont jusque-là enserrées. Au xive siècle, Maerlant n’avait trouvées bonnes à