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ment même où la crise allait prendre toute sa gravité. Elle n’exerça pas la moindre influence sur la décision des électeurs. Entre François Ier et Charles-Quint, ce ne fut pas la question religieuse mais uniquement la question d’argent qui les fit se prononcer pour ce dernier.

L’attitude qu’il allait prendre à l’égard de la Réforme n’était pas douteuse. Quand bien même il eût éprouvé pour elle quelque sympathie, la politique lui eût interdit de la montrer. Sa puissance reposait avant tout sur l’Espagne, et quelle apparence qu’un roi d’Espagne pactisât avec l’hérésie ? Comment, au surplus, eût-il songé à se brouiller avec la papauté, au moment même où son appui lui était indispensable pour résister en Italie aux entreprises de la France ? Ses intérêts les plus évidents s’alliaient donc à ses convictions personnelles pour faire de lui le défenseur de l’Église. Ce n’est pas d’ailleurs qu’il s’en dissimulât les abus ; il appelait de tous ses vœux un concile général, et les prétentions temporelles de la papauté trouvèrent en lui un adversaire énergique. Mais catholique autant que conservateur, il vécut dans la croyance traditionnelle que l’Église est la condition, la base même de l’ordre social et que son maintien est aussi indispensable au salut des âmes qu’à l’existence de toute autorité terrestre.

Si l’Allemagne eût été un État, les destinées de la Réforme se fussent trouvées singulièrement compromises sous le gouvernement d’un prince ainsi disposé. En France ou en Angleterre, il lui eût fallu aussitôt soit céder à la couronne, soit la combattre. Les historiens protestants ont tort de déplorer le manque d’unité politique de l’Allemagne au commencement du xvie siècle ; ce sont la faiblesse de son pouvoir monarchique et le caractère rétrograde et particulariste de ses institutions, qui ont sauvé le luthéranisme, ou du moins qui lui ont assuré cette diffusion rapide et facile si on la compare aux luttes formidables que le calvinisme, dans des États plus avancés et plus puissants, eût à soutenir dès sa naissance.

A peine arrivé dans l’Empire, Charles s’empressa de soumettre la question religieuse à la Diète convoquée à Worms au mois d’avril 1521. Luther, cité devant l’assemblée, dont une grande partie lui était favorable et jusqu’aux portes de laquelle il s’avança au milieu des acclamations de la foule, n’avait pas à redouter le sort de Jean Hus au Concile de Constance. Il refusa de se rétracter et on le laissa librement sortir de la ville (17 avril 1521). Quelques semaines plus tard (8 mai), un édit impérial le mettait ainsi que ses