Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/472

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour Anne Boleyn, c’est confondre l’occasion des événements avec leur cause. L’opposition du pape au divorce du roi avec Catherine d’Aragon le poussa bien à se faire proclamer par l’assemblée du clergé the chief protector of the church and clergy of England (1531) afin de pouvoir faire casser son mariage (1533). Mais on pouvait s’arrêter là, et si on l’eût fait, la situation de l’Angleterre à l’égard de Rome n’eût certainement pas été irrémédiablement compromise. L’élévation de Thomas Morus au poste de chancelier, après la condamnation du cardinal Wolsey (1530), prouve que le gouvernement ne songeait pas à s’écarter du catholicisme. Le Parlement, qui soutint de toutes ses forces la cause du roi, voulait profiter de la situation pour constituer une Église nationale. Mais personne n’y pensait à un schisme, moins encore à une hérésie.

En acceptant le poste de chancelier, Morus se proposait sans doute d’amener l’Église anglaise, sans éclat ni violence, à ces réformes modérées rêvées par les humanistes. Comme Érasme, il voulait conserver la foi traditionnelle en l’épurant. S’il comptait sur le gouvernement pour l’aider dans cette tâche, c’était à la condition qu’il ne s’inspirât que de motifs aussi purement religieux et désintéressés que les siens. Mais le gouvernement était alors dirigé par un homme qui consacrait ses forces et son génie à faire de l’Angleterre une monarchie absolue. Formé à l’école des politiques italiens, Thomas Cromwell ne concevait l’État que dans la toute puissance de la couronne. Pour lui, l’Église (comme pour Machiavel) n’était qu’un facteur de la politique, mais un facteur d’autant plus considérable que son influence sur les hommes était plus grande. La mettre au service du prince, c’était donc faire remonter vers lui la force et l’ascendant qu’elle tirait de son caractère sacré. En 1534, profitant de l’obéissance du Parlement et de son hostilité à la cour de Rome, il lui faisait voter l’« acte de suprématie », reconnaissant le roi comme le seul chef suprême sur cette terre de l’Église d’Angleterre, avec tous les honneurs, juridictions, autorités, immunités, profits et avantages appartenant à cette dignité, et plein pouvoir de visiter, redresser, réprimer, réformer et amender toutes erreurs, hérésies, abus, désordres et énormités qui pourraient ou peuvent être légalement réformés par toute espèce d’autorité ou de juridiction spirituelle. L’année suivante, Cromwell était proclamé par le roi son vicaire général en matière ecclésiastique. L’Église anglaise était ainsi courbée aux pieds du trône et le souverain qui siégeait sur ce trône, désormais, pour elle, se substituait au pape.