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s’ignorait, de la mettre au service de l’Église, d’en constituer pour ainsi dire une armée permanente de réserve à la disposition de celle-ci. C’est justement au premier des grands papes, Grégoire le Grand (590-604) qu’est due cette mesure de génie.

Jusqu’à lui, la prééminence de la papauté est mal définie et ne ressort guère que de la double qualité du pape, successeur de Saint Pierre et évêque de Rome. Elle se manifeste plutôt par le respect qu’on lui porte que par l’autorité qu’il exerce. Dans les divers royaumes, les évêques nommés par les rois n’ont tout au plus avec lui que des relations de déférence. Lui-même n’est considéré par les patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, de Jérusalem et de Constantinople que comme un égal. Enfin, comme il le fait pour eux, l’empereur de Byzance se réserve le droit de ratifier sa nomination ou, après Justinien, de la faire ratifier en son nom par l’exarque de Ravenne. La situation de l’Italie, et particulièrement la situation de Rome, depuis les troubles des invasions entrave, au surplus, ou absorbe en des besognes qui n’ont rien de commun avec le gouvernement de l’Église, l’activité des papes. Depuis que l’empereur ne réside plus dans la « Ville », c’est le pape qui en est devenu, en fait, le personnage principal. C’est à lui qu’il incombe, à défaut des autorités laïques, de négocier avec les envahisseurs, de veiller à l’administration, au ravitaillement, à la fortification de la cité qui, à mesure qu’elle se dépeuple et s’appauvrit, rend de plus en plus ardue la tâche d’entretenir en état son immense enceinte et ses monuments. Depuis l’invasion des Lombards surtout, les papes ont à lutter contre des difficultés et des périls auxquels ils ne parviennent à parer qu’à force d’énergie. Car l’empereur, absorbé par la défense des frontières de Syrie et du Danube, leur laisse le soin de résister à ces nouveaux ennemis qui s’acharnent à la conquête de Rome. Tout au plus envoie-t-il de temps en temps quelques troupes et quelques subsides également insuffisants. L’exarque de Ravenne, menacé lui-même, n’est pas en état de fournir une collaboration effective. Au moment où Grégoire le Grand, en 590, monte sur le trône de Saint Pierre, il désespère visiblement de l’avenir et compare Rome à un navire battu par la tempête et sur le point de sombrer.

Grégoire, le Grand peut être considéré comme le premier interprète de la pensée religieuse après les pères de l’Église. Mais il ne les continue pas. Ce ne sont pas les questions dogmatiques qui l’intéressent : pour lui, elles sont résolues définitivement. Ce qui