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voisin de la barbarie dont ils ne devaient sortir qu’au commencement du xixe siècle. Les Germains, qui avaient envahi l’Occident au ve siècle, n’étaient pas moins brutaux que les Turcs. Mais ils s’assimilèrent tout de suite à sa civilisation supérieure en se convertissant au christianisme, et furent bientôt absorbés par les populations conquises. Entre l’islamisme des Turcs, au contraire, et le christianisme de leurs sujets, aucune conciliation n’était possible. La différence des religions devait les rendre impénétrables les uns aux autres et perpétuer parmi eux le régime abominable d’un État ne reposant que sur la force, ne se maintenant que par l’exploitation et n’existant qu’au prix d’entretenir sans cesse chez les conquérants le mépris du vaincu et chez le vaincu la haine du conquérant. Sauf une partie du peuple albanais, aucune des nations soumises au sultan ne s’est convertie à l’islamisme et les Turcs n’ont fait d’ailleurs aucun effort pour les convertir. Au point de vue religieux, il suffisait à la gloire d’Allah que ses fidèles régnassent sur les giaours ; au point de vue politique, il ne fallait, pour maintenir cet État qui ne s’éleva jamais au-dessus de la conception primitive d’un régime purement militaire, que réduire les chrétiens au rôle de contribuables. Ainsi leur religion, en les privant de toute espèce de droits, assurait mieux leur servitude. Depuis Selim Ier (1512-1520) leur sang même fut soumis à l’impôt. Périodiquement les plus beaux enfants étaient arrachés à leurs parents, les filles pour servir aux plaisirs des hommes, les garçons pour être versés dans le corps des janissaires, après avoir été initiés à l’Islam.

L’Europe qui n’avait pu empêcher la prise de Constantinople, ne put empêcher davantage les progrès de la puissance turque sur le continent et dans le bassin de la Méditerranée. Les papes cherchèrent vainement à ranimer en elle l’esprit des Croisades. Leur propagande — dont le moine Campistan fut l’agent le plus remarquable — réussit bien à susciter des bandes de volontaires, mi-enthousiastes, mi-aventuriers, mais ce qu’il eût fallu, c’eût été une coopération des divers État à la défense commune, et une telle coopération était impossible. Les historiens qui en rendent responsable le prétendu égoïsme national des États modernes, oublient que les États du Moyen Age ne s’associèrent jamais en commun contre les Musulmans. Le caractère universel des Croisades leur vient de la participation des peuples, mais non de celles des gouvernements. Leur échec, contre des adversaires bien moins redoutables que les Turcs, prouve d’ailleurs que l’on n’eût rien pu en attendre