Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/486

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beau-frère. C’eut été le moment d’appeler l’Allemagne à la défense de ses frontières menacées. Mais l’Allemagne, troublée par la crise de la Réforme, était plus incapable que jamais de tout effort collectif. Les princes protestants voyaient dans les Turcs des alliés providentiels ; les princes catholiques n’entendaient pas, en luttant contre eux, assurer aux Habsbourg un accroissement de force qui les emplissait de jalousie. Soliman s’avança donc sans peine jusqu’à Pesth et parvint en 1529 sous les murs de Vienne que la mauvaise saison et les maladies de son armée l’empêchèrent de prendre. Du moins conserva-t-il toute la Hongrie jusqu’à l’Enns et Ferdinand consentit à lui payer tribut, lors de la paix qu’il fut contraint de conclure en 1547. La Hongrie fut divisée en sandjaks, sauf une étroite bande de territoire au nord et à l’ouest, ainsi que quelques parties de la Croatie et de la Slavonie qui restèrent aux Habsbourg. La Transylvanie et la partie orientale du pays formèrent des principautés particulières sous la vassalité de la Porte. Soliman lui-même transforma en mosquée la principale église de Pesth.

L’Empire turc parvient sous son règne (1520-1566) à la plus grande étendue qu’il ait jamais atteinte. Déjà sous Selim Ier (1512-1520), les bords de la Mer Noire avaient été occupés et les Tartares de la Crimée soumis au tribut. Dans la Mer Égée, Rhodes était conquise en 1522 et les chevaliers de Saint-Jean qui l’avaient héroïquement défendue, se transportaient à Malte où Charles-Quint les appela, et qu’ils devaient conserver jusqu’à la Révolution française[1]. La Mésopotamie, la Syrie, l’Égypte étaient annexées (1512-1520). Alger et Tunis, conquises par le corsaire renégat Barberousse, devenaient des postes avancés du Grand Seigneur dans la Méditerranée orientale. Ainsi, au milieu du xvie siècle, l’Islam possédait en Europe une situation bien plus formidable que celle qu’il y avait jamais eue à l’époque de sa grande expansion. Mais il devait en être de cette seconde poussée comme de la première. Le moment de son apogée fut aussi celui de son déclin. Ce n’est pas d’ailleurs que les Turcs, comme les Musulmans du xe et du xie siècle, aient compensé par leur civilisation ce qu’ils perdirent depuis lors en vigueur guerrière. Barbares ils étaient, barbares ils sont restés. Il n’y a rien là d’ailleurs, à mon sentiment, qui tienne à la race. Les Turcs ne se sont trouvés en contact, tant en Asie qu’en

  1. Malte fut prise par Napoléon en 1798 pendant sa traversée vers l’Égypte.