Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 34 —

acquirent de force et d’éclat. Tandis qu’à Rome même les papes continuent à être considérés par l’empereur de Byzance et par l’exarque de Ravenne comme des patriarches de l’Empire, et restent soumis à l’obligation de leur demander la ratification de leur élection, les nouveaux chrétiens du nord révèrent en eux les vicaires de Jésus-Christ, les représentants de Dieu sur cette terre. La papauté s’est donc créée une situation désormais incompatible avec la subordination où elle a vécu jusqu’alors à l’égard de l’empereur. Tôt ou tard, elle brisera le lien traditionnel qui subsiste entre elle et Iui, et qui, depuis qu’il n’y a plus d’Empire en Occident ne fait plus que peser sur elle, l’humilie et la gêne. Si encore l’empereur se montrait un protecteur efficace ou, faute de mieux, témoignait au moins de sa bienveillance ! Mais il fait plus que de se désintéresser de Rome et de l’abandonner sans défense aux entreprises des Lombards, il devient pour elle un adversaire[1].

Dans ce milieu byzantin qu’agite les passions théologiques, une nouvelle hérésie vient de paraître : l’Iconoclasme. L’empereur Léon III l’Isaurien la professe (726) et prétend l’imposer à Rome. Cette fois c’en est trop. Le pape ne se soumettra pas aux volontés d’un maître qui estime sa complaisance à la mesure de celle des patriarches de Constantinople ou d’Antioche. Déjà Grégoire II (715-731) fait entendre des paroles menaçantes. Si la rupture ne s’accomplit pas dès lors, c’est que la tradition impériale reste si puissante que l’on hésite à franchir le pas décisif. Et puis, abandonner l’empereur, c’est se lancer dans l’inconnu et s’exposer à des représailles qui peuvent faire courir à l’Église les plus graves périls. Pour accomplir un acte aussi décisif et prendre en face de l’empereur non pas seulement l’attitude d’un égal mais celle d’un supérieur, pour briser avec l’Orient hérétique et établir en Occident les bases de la chrétienté universelle, pour cesser d’être romain dans le sens ancien du mot et devenir catholique, pour débarrasser le pouvoir spirituel des entraves que le césarisme lui impose, il faut trouver un protecteur puissant et fidèle. Qui peut se charger de ce rôle dans l’Europe d’alors ? Un seul homme, qui lui-même cherche un allié capable de lui transmettre légitimement la couronne, le maire du palais des rois mérovingiens.

  1. En 653, Constant II envoie en exil Martin Ier. En 692, Justinien II aurait agi de même pour Serge Ier sans une révolte de Rome.