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que le reste du monde musulman. C’est l’une d’elles qui provoqua l’expédition de Charles au delà des Pyrénées. En lutte avec le khalife de Cordoue, trois émirs arabes d’Espagne lui avaient demandé des secours. Il apparut lui-même, en 778, à la tête d’une armée, refoula les Musulmans au delà de l’Èbre, mais échoua au siège de Saragosse[1] et repassa les monts après une campagne peu glorieuse. Le seul résultat en fut l’érection de la « marche » d’Espagne entre l’Èbre et les Pyrénées, laquelle servit dans la suite aux petits royaumes chrétiens, qui s’étaient constitués dans les montagnes des Asturies, de poste avancé contre les Arabes dans la longue lutte qui devait aboutir, au xve siècle, à l’affranchissement de la Péninsule[2]. Pour les contemporains, l’expédition passa à peu près inaperçue. Le souvenir du comte Roland, tué pendant une escarmouche contre des Basques qui, dans le col de Ronceveaux, s’étaient jetés sur les bagages de l’armée, ne se perpétua tout d’abord que parmi les gens de sa province, dans le pays de Coutances. Il fallut l’enthousiasme religieux et guerrier, qui s’empara de l’Europe, à l’époque de la première Croisade, pour faire de Roland le plus héroïque des preux de l’épopée française et chrétienne et transformer la campagne dans laquelle il trouva la mort en une lutte gigantesque entreprise contre l’Islam par « Carles li reis nostre emperere magne ».

De toutes les guerres de Charlemagne, celles qu’il entreprit contre les Lombards sont les plus importantes par leurs conséquences politiques et celles aussi où se montre le plus clairement le lien qui rattache intimement la conduite de Charles à celle de son père. L’alliance avec la papauté les imposait, non seulement dans l’intérêt du pays, mais dans celui même du roi des Francs. Pépin avait espéré, à la fin de son règne, un arrangement pacifique avec les Lombards. Charles épousa donc la fille de leur roi Didier. Mais il en fut de ce mariage comme de toutes les unions princières avec lesquelles ne coïncide ni l’union des vues, ni l’union des intérêts ; il ne servit à rien. Les Lombards continuèrent à menacer Rome et leur roi noua même contre son gendre de dangereuses intrigues avec le duc des Bavarois et avec la propre belle-sœur de Charles. Celui-ci répudia sa femme et franchit les Alpes en 773. La dynastie

  1. Cette ville s’était d’ailleurs déclarée indépendante du khalifat Ommiade.
  2. Barcelone fut prise en 801 par Louis qui gouvernait l’Aquitaine et la marche érigée alors.