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APOLOGIE DE SOCRATE

prendre comme exemple. b Cela revenait à dire : « humains, celui-là, parmi vous, est le plus savant qui sait, comme Socrate, qu’en fin de compte son savoir est nul. » Cette enquête, je la continue, aujourd’hui encore, à travers la ville, j’interroge, selon la pensée du dieu, quiconque, citoyen ou étranger, me paraît savant. Et quand il me semble qu’il ne l’est pas, c’est pour donner raison au dieu que je mets en lumière son ignorance. Tout mon temps se passe à cela, si bien qu’il ne m’en reste plus pour m’occuper sérieusement ni des affaires de la ville ni des miennes. Je vis donc dans une extrême pauvreté, c et cela parce que je suis au service du dieu.


Comment les haines se sont amassées peu à peu.

Ajoutez ceci : les jeunes hommes qui s’attachent à moi spontanément, — et ce sont ceux qui ont le plus de loisir, les fils des familles riches, — ceux-là prennent plaisir à voir les gens soumis à cet examen. Souvent même, ils veulent m’imiter et, à leur tour, ils s’essayent à examiner d’autres personnes. Apparemment, ils en trouvent à foison qui croient savoir quelque chose, tout en ne sachant que peu ou rien du tout. Et alors, ceux qu’ils ont examinés s’en prennent, non à eux-mêmes, mais à moi ; et ils déclarent qu’il y a un certain Socrate, d un misérable, qui corrompt les jeunes gens. Leur demande-t-on ce qu’il fait et enseigne pour les corrompre ? Ils ne savent que répondre, ils l’ignorent. Mais, pour ne pas paraître déconcertés, ils allèguent les griefs qui ont cours contre tous ceux qui font de la philosophie, à savoir qu’ils étudient ce qui se passe dans les airs et sous terre, qu’ils ne croient pas aux dieux, qu’ils font prévaloir la mauvaise cause. La vérité, qu’ils ne voudraient avouer, je pense, à aucun prix, c’est qu’ils ont été convaincus de faire semblant de savoir, quand ils ne savaient rien. Or, comme ils sont sans doute avides de réputation, e opiniâtres et nombreux, comme, en outre, en parlant de moi, ils font corps, ce qui les rend persuasifs, ils vous ont rempli la tête depuis longtemps de leurs calomnies acharnées.

Voilà comment Mélétos et Anytos et Lycon se sont jetés sur moi, Mélétos prenant à son compte la haine des poètes,