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APOLOGIE DE SOCRATE

sont pas les discours[1], c’est l’audace et l’impudence, c’est la volonté de vous faire entendre ce qui vous aurait été le plus agréable, Socrate pleurant, gémissant, faisant et disant des choses e que j’estime indignes de moi, en un mot tout ce que vous êtes habitués à entendre des autres accusés. Mais non, je n’ai pas admis, tout à l’heure, que, pour échapper au danger, j’eusse le droit de rien faire qui fût lâche, et je ne me repens pas maintenant de m’être ainsi défendu.

Ah ! combien j’aime mieux mourir après une telle défense que de vivre à pareil prix ! Nul homme, ni moi, ni aucun autre, soit devant un tribunal, 39 soit à la guerre, ne doit chercher à se soustraire à la mort par tous les moyens. Souvent, dans les combats, il est manifeste que l’on aurait plus de chances de vivre en jetant ses armes, en demandant grâce à l’ennemi qui vous presse. Et de même, dans tous les autres dangers, il y a bien des moyens d’échapper à la mort, si l’on est décidé à tout faire, à tout dire. Seulement prenez garde à ceci, juges, que le difficile n’est pas d’éviter la mort, mais bientôt plutôt d’éviter de mal faire. b Le mal, voyez-vous, court après nous plus vite que la mort[2]. Cela explique que moi, qui suis vieux et lent, je me sois laissé attraper par le plus lent des deux coureurs, tandis que mes accusateurs, vigoureux et agiles, l’ont été par le plus rapide, qui est le mal. Aussi, maintenant, nous allons sortir d’ici, moi, jugé par vous digne de mort, eux, jugés par la vérité coupables d’imposture et d’injustice. Eh bien, je m’en tiens à mon estimation, comme eux à la leur. Sans doute, il fallait qu’il en fût ainsi et je pense que les choses sont ce qu’elles doivent être.

39Quant à l’avenir, je désire vous faire une prédiction, à vous qui m’avez condamné. Car me voici à cette heure de la vie où les hommes prédisent le mieux, un peu avant d’expirer. Je vous annonce donc, à vous qui m’avez fait mourir, que vous

  1. Il ne semble pas probable que Platon ait voulu faire dire par Socrate qu’il aurait pu composer une plus habile défense, s’il l’eût voulu. Socrate ne s’est jamais donné pour un orateur. Il y a peut-être ici une allusion à des apologies qui lui avaient été offertes (Cf. Diog. La., II, 5, 40).
  2. Réminiscence d’un passage de l’Iliade (IX, 502), où il est dit que les Prières courent après le Mal qui va plus vite qu’elles.