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NOTICE

Dans le présent dialogue, la complexité du problème ne semble pas avoir été encore aperçue par l’auteur. Acceptant la pensée de Socrate pour absolument vraie, sans réserve aucune, Platon a voulu établir qu’on ne fait jamais le mal volontairement. Mais au lieu de recourir à la preuve directe, fondée sur la psychologie, il a cru pouvoir user de la preuve indirecte, qu’on appelle la démonstration par l’absurde. Il lui a plu de faire voir qu’en admettant la conception du mal commis sciemment, on aboutissait logiquement à des conclusions scandaleuses. Ce jeu d’esprit n’était pas sans attrait pour un dialecticien subtil tel que lui. Outre qu’il se prêtait à faire valoir son adresse, il dut lui paraître de nature à frapper plus vivement ses lecteurs par la surprise qu’il exciterait en eux. Toutes les notions communément admises étant contredites, le scandale même des déductions pouvait avoir l’avantage d’exciter la pensée, d’imposer plus impérieusement ce qu’il considérait comme la vérité.

Son argumentation, à vrai dire, paraîtra au lecteur moderne bien lente, bien minutieuse et même fatigante à la longue. C’est ainsi sans doute qu’on discutait à Mégare. Le raisonnement en somme se ramène à ceci. Si un homme qui sait ce qui est bien peut mentir, c’est-à-dire faire le mal volontairement, celui qui trompe à dessein, en connaissance de cause, se montre plus habile, plus instruit, que celui qui le fait sans le savoir. Or, en toute chose, le plus instruit est supérieur à l’ignorant, il est meilleur que lui. Celui qui ment sciemment est donc meilleur que celui qui ment à son insu. Conclusion qui révolte évidemment la conscience morale, comme Socrate le dit expressément. Mais, pour y échapper, il faudrait, d’après lui, reconnaître que l’homme ne fait jamais le mal volontairement.

Cette façon d’argumenter laisse assez voir combien Platon, en ce temps, était plus dialecticien que psychologue. Faute d’une analyse approfondie de la volonté, il se la représentait alors comme un acte simple, dépendant uniquement de l’intelligence. Il méconnaissait ainsi ce fait d’expérience courante, que, bien souvent, l’homme cède à ses appétits ou à ses passions, tout en sachant qu’il se fait par là du mal à lui-même. Il ne voyait pas non plus que le sentiment du bien et du mal est en partie intuitif, résultant d’une conscience instinctive des conditions de la vie. Ramenant la morale à un calcul