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CRITON

nous les lois, et ta patrie avec nous ! Et, en agissant ainsi, tu diras que tu agis justement, toi qui as vraiment à cœur la vertu ! Ah ! ta sagesse te permet-elle donc de méconnaître qu’il faut honorer sa patrie plus encore qu’une mère, plus qu’un père, plus que tous les ancêtres, qu’elle est plus respectable, plus sacrée, qu’elle tient un plus haut rang au jugement des dieux et des hommes b sensés ; oui, il faut la vénérer, lui céder, lui complaire, quand elle se fâche, plus qu’à un père ; il faut, ou la faire changer d’idée, ou exécuter ce qu’elle ordonne, souffrir même paisiblement ce qu’elle veut qu’on souffre, se laisser, s’il le faut, frapper, enchaîner, ou mener au combat pour y être blessé ou pour y mourir ; tout cela, il faut le faire, car c’est ce qui est juste ; et on ne doit ni se dérober, ni reculer, ni abandonner son poste, mais au combat, au tribunal, partout, le devoir est d’exécuter ce qu’ordonne l’cÉtat et la patrie, ou, sinon, de la faire changer d’idée par les moyens légitimes. Quant à la violence, n’est-elle pas impie envers une mère, envers un père, et bien plus encore envers la patrie ? » Que dirons-nous à cela, Criton ? les lois ont-elles tort ou raison ?

Criton. — Je crois qu’elles ont raison.

Socrate. — « Vois donc, Socrate, » pourraient-elles ajouter, « si nous ne sommes pas en droit d’affirmer que la façon dont tu projettes de nous traiter est bien injuste. Nous qui t’avons mis au monde, nourri, élevé, nous qui t’avons fait part, ainsi qu’à tous les autres citoyens, de tous les biens d dont nous disposions, nous proclamons, en ne l’interdisant pas, que tout Athénien qui le veut, après qu’il a été mis en possession de ses droits civiques[1], après qu’il a pris connaissance de la vie publique et de nous, les lois, peut, si nous ne lui plaisons pas, sortir d’Athènes, emporter ce qui est à lui, aller où il voudra. Aucune de nous n’y fait obstacle. Aucune n’interdit à qui de vous veut se rendre dans une colonie, parce qu’il s’accommode mal de nous et de l’État,

  1. Littéralement : « Après qu’il a subi la dokimasie. » On appelait ainsi la justification que le jeune Athénien (ou son représentant autorisé) devait fournir devant l’assemblée de son dème pour attester qu’il possédait, au moment de devenir citoyen effectif, les qualités exigées par la loi.