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CHARMIDE

pourra cependant juger si les autres et lui-même possèdent telle science particulière ? » — « Certainement. »

« Mais, avec une science de cette sorte, comment juger du savoir ? En matière de santé, c’est par la médecine, non par la sagesse, qu’on s’instruit ; en matière d’harmonie, c’est par la musique, non par la sagesse ; en matière de construction, c’est par l’architecture, non par la sagesse ; et de même pour tout. N’est-ce pas la vérité ? » — « Je le crois. » — « Comment alors la sagesse seule, si elle n’est que la science des sciences, peut-elle faire connaître qu’on sait ce qui se rapporte aux bâtiments ou à la santé ? » — « C’est impossible en effet. » — « Celui donc qui ignore ces sciences particulières saura seulement qu’il sait, mais sans savoir quoi. » — « C’est vraisemblable. » — « La sagesse ne consiste donc pas à savoir quelle chose on sait et quelle chose on ignore, mais seulement, semble-t-il, à savoir qu’on sait ou qu’on ne sait pas. » — « Peut-être. » — « Quant à vérifier si tel qui prétend posséder un savoir particulier le possède réellement ou non, le sage en est incapable : il saura peut-être que cet homme possède un certain savoir, mais la sagesse ne lui enseignera rien sur la nature précise de ce savoir. » — « Cela paraît probable. »

— « Si un homme se donne pour médecin sans l’être, et si un autre l’est réellement, le sage n’en peut faire la distinction, non plus que pour aucune science particulière. Voyons en effet : qu’un sage ou un homme quelconque veuille distinguer le véritable médecin du charlatan ; comment s’y prendra-t-il ? Il ne peut lui parler de la science médicale : le médecin, en effet, nous l’avons dit, ne connaît rien en dehors du sain et du malade, n’est-il pas vrai ? » — « Oui. » — « Mais le médecin ne sait rien de la science elle-même[1], puisque nous avons attribué celle-ci à la sagesse ? » — « D’accord. » — « Ainsi la médecine non plus n’est pas connue du médecin, puisque c’est une science. » — « Tu dis vrai. » — « Que le médecin ait une science, le sage pourra s’en rendre compte ; mais pour vérifier de quelle sorte elle

  1. Le médecin, en d’autres termes, connaît la médecine pratiquement, mais ne sait pas, d’après ce raisonnement, en quoi la médecine est ou n’est pas une science. Socrate revient toujours à sa conception