Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
GORGIAS

outre elles sont liées dramatiquement par le progrès de l’émotion qui va croissant du commencement à la fin, puisque la discussion, commencée sur une question qui semblait purement technique, l’objet de la Rhétorique, s’achève par les considérations les plus hautes et les plus éloquentes sur toute la destinée humaine.

Mais d’autres problèmes se posent sur la relation des théories de Calliclès avec les deux premières parties, et il est nécessaire d’en dire quelques mots, bien qu’ils aient été généralement négligés par les commentateurs.

Ces théories, qui donnent tout d’un coup au dialogue un intérêt si puissant et si nouveau, sont-elles une suite logiquement nécessaire des deux discussions précédentes, et, si elles n’en sortent pas nécessairement, pourquoi Platon les y a-t-il rattachées ?

Que l’immoralisme de Calliclès ne soit pas impliqué expressément dans les conceptions de Gorgias et de Polos, c’est ce qui est assez évident. Gorgias et Polos n’admettent nullement cet immoralisme pour leur propre compte, et ils ne commettent en cela aucune faute de logique, à en juger selon les règles du sens commun, c’est-à-dire du jugement appliqué à la conduite de la vie ordinaire. Si la rhétorique produit uniquement la persuasion, non la science, et si la persuasion peut parfois persuader le faux, il ne faut pas le lui reprocher trop sévèrement ; car il y a des circonstances où une décision immédiate est nécessaire et, dans ce cas, il faut bien se contenter de la vraisemblance, faute de mieux ; le philosophe lui-même, quand il doit agir, s’en contente, et s’il ne s’en contentait pas, il devrait renoncer à toute action, ce qui ne vaudrait pas mieux que de courir un risque inévitable. La persuasion peut tomber juste, et, à côté des choses prouvées, il y a des opinions vraies, de l’aveu de Platon lui-même ; or, dans bien des cas, l’opinion vraie, inspirée ou non par une sorte d’intuition divine (θεία μοῖρα), est la seule ressource de l’intelligence pratique et agissante.

Pourquoi donc Platon a-t-il rattaché, comme il l’a fait, les théories cyniques de Calliclès aux théories innocentes de ces deux honnêtes gens, Gorgias et Polos ? Et pourquoi cette ardeur passionnée contre la rhétorique prise en bloc ?

Il semble que l’explication doive en être cherchée d’abord dans les faits qu’il avait sous les yeux. L’Athènes de son