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GORGIAS

fait, ceux qui s’adonnent à la rhétorique renoncent, sciemment ou non, à la recherche méthodique de la vérité, et leur imprudence ne serait logiquement admissible, aux yeux de Platon, que si les théories de Calliclès étaient vraies.

Platon motive cette condamnation de la Rhétorique d’abord par des raisonnements abstraits, ensuite par l’examen de l’œuvre politique des hommes d’État athéniens.

Sur le premier point, répétons seulement ce que nous disions tout à l’heure, que Platon lui-même, dans d’autres dialogues, reconnaît à côté de la science proprement dite l’existence d’une « opinion vraie », dont l’importance au moins pratique et provisoire est incontestable, tandis qu’ici nulle allusion formelle n’est faite à cette manière d’atteindre la vérité. C’est là un signe frappant de la passion combative apportée par lui dans le développement de sa thèse. Le Gorgias est d’inspiration foncièrement polémique.

Même caractère dans les jugements si curieux et si uniformément sévères sur les hommes d’État athéniens. Un seul trouve grâce à ses yeux, Aristide ; tous les autres, y compris les plus illustres, un Thémistocle, un Cimon, un Périclès, sont condamnés.

Faut-il voir, dans cet ostracisme universel, la manifestation d’un esprit de parti aristocratique ? non, car Aristide, qu’il admire, était démocrate : nous savons aujourd’hui, par la Constitution d’Athènes, d’Aristote, qu’il était le chef du parti populaire. C’est donc une condamnation purement philosophique et morale, où la politique de parti n’a rien à voir, ou peu de chose. Que reproche-t-il aux hommes d’État, en effet ? Avant tout, d’avoir flatté les instincts belliqueux du peuple, de lui avoir donné des navires, des arsenaux, des murailles, et d’avoir pratiqué ce qu’on appellerait aujourd’hui une politique « impérialiste », au lieu de s’appliquer à le rendre plus juste et plus tempérant. Cette condamnation est prononcée en bloc, sommairement, sans distinction entre les guerres offensives et défensives, sans égard aux circonstances particulières qui ont pu motiver les décisions des politiques. La grande preuve invoquée pour établir qu’ils furent de mauvais chefs, c’est que plusieurs d’entre eux, notamment Cimon et Périclès, furent condamnés à la fin par ce même peuple dont ils avaient été les idoles montrant ainsi qu’ils n’avaient pas su apprivoiser ses caprices et ses fureurs. Pla-