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GORGIAS

d’ailleurs que c’est surtout parmi les tyrans, les rois, les dynastes, les chefs des cités, que se rencontrent ces criminels destinés à servir d’exemples : car la toute-puissance de ces hommes leur fait commettre des crimes plus odieux et plus impies qu’aux autres hommes. Homère en rend témoignage : car ce sont des rois et des princes equ’il a représentés subissant dans l’Hadès des supplices sans fin, Tantale[1], Sisyphe, Tityos ; quant à Thersite, et il en va de même des autres méchants qui ne sont que des particuliers, jamais personne ne l’a montré soumis aux grands châtiments des incurables : c’est que, sans doute, il n’avait pas le pouvoir de mal faire, de sorte qu’il a été plus heureux que ceux qui ont eu ce pouvoir.

Cependant, Calliclès, si les hommes qui deviennent les plus méchants sont toujours 526de ceux qui ont le plus de pouvoir, rien n’empêche après tout que, même parmi ceux-ci, il ne puisse se trouver d’honnêtes gens, et il est de toute justice de les en admirer davantage ; car il est difficile, Calliclès, et singulièrement méritoire de rester juste toute sa vie, quand on a toute liberté de mal faire. Ce sont là toutefois des exceptions. Il s’est rencontré, en effet, et je pense qu’il se rencontrera encore, ici et ailleurs, d’honnêtes gens assez vertueux pour manier selon la justice bles affaires confiées à leurs soins : l’un des plus illustres, honoré par toute la Grèce, fut Aristide, fils de Lysimaque ; mais la plupart des hommes puissants, mon cher ami, sont mauvais.

Ainsi que je le disais tout à l’heure, quand Rhadamante reçoit un de ceux-ci, il ne connaît ni son nom ni sa famille ; il ne sait rien de lui, sinon que c’est un méchant : aussitôt qu’il s’en est assuré, il l’envoie au Tartare, avec un signe particulier indiquant s’il le juge guérissable ou non ; là le coupable subit la peine qui convient. cQuelquefois, il voit une autre âme qu’il reconnaît comme ayant vécu saintement dans le commerce de la vérité, âme d’un simple citoyen, ou de tout autre, mais plus souvent, Calliclès, si je ne me trompe, âme d’un philosophe, qui ne s’est occupé que de son office propre et ne s’est pas dispersé dans une agitation stérile

    goras lui-même. Appliquée aux morts, elle sous-entend les doctrines que Platon esquisse ailleurs, sous forme mythique (Rép. 617 d, Phèdre 249 a), touchant la migration des âmes.

  1. Tantale, l’ancêtre des Pélopides, Sisyphe et Tityos avaient régné