Anytos. — Pourquoi désigner un homme en particulier ? Qu’il s’adresse au premier venu entre les honnêtes gens d’Athènes : il n’en est aucun qui ne lui fasse faire plus de progrès dans la vertu que les sophistes, s’il veut seulement l’écouter.
Socrate. — Mais ces honnêtes gens, se sont-ils formés tout seuls, et, sans avoir rien appris de personne, sont-ils capables, par le fait de leur honnêteté, d’enseigner ce qu’ils 93 n’ont pas appris ?
Anytos. — Ils l’ont appris, selon moi, de leurs prédécesseurs, qui étaient aussi d’honnêtes gens. Nierais-tu par hasard qu’Athènes ait compté grand nombre d’honnêtes gens ?
Socrate. — Je crois, Anytos, qu’il y a ici beaucoup d’hommes excellents dans la politique[1] et qu’il y en a eu dans le passé tout autant que dans le présent. Mais ont-ils été de bons maîtres pour enseigner leur propre vertu ? Car tel est le problème qui nous occupe : nous ne cherchons pas s’il y a ou non d’honnêtes gens à Athènes, ni s’il y en a eu dans le passé, mais si la vertu b peut s’enseigner. Voilà ce que nous discutons depuis longtemps, et en nous livrant à cet examen, nous nous demandons si les honnêtes gens d’aujourd’hui et d’autrefois ont eu l’art de transmettre à d’autres la vertu qui était en eux, ou bien si au contraire la vertu est une chose que l’homme ne peut ni transmettre à autrui ni recevoir d’autrui. Voilà l’objet de notre longue recherche, à Ménon et à moi.
Discussion de quelques exemples.
Pour entrer dans tes vues, je te demanderai ceci : Thémistocle, à ton avis, n’a-t-il pas été c du nombre de ces honnêtes gens ?
Anytos. — Certainement, et parmi les premiers.
Socrate. — Par conséquent, si jamais homme fut capable de bien enseigner sa propre vertu, Thémistocle fut celui-là ?
Anytos. — Je n’en doute pas, pour peu qu’il le voulût.
Socrate. — Et comment n’aurait il pas voulu que d’autres devinssent vertueux et en particulier son propre fils ? Penses-tu qu’il fût jaloux de lui et qu’il ait fait exprès de ne pas lui transmettre la vertu d où lui-même excellait ? N’as-tu pas
- ↑ On sait que Socrate soutient l’opinion contraire dans le Gor-
Platon souligne qu’il ne les connaît pas, comme pour indiquer qu’il pouvait bien ne pas distinguer entre Socrate et eux.