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LE BANQUET

principe ? C’est qu’aux vilaines actions s’attache le déshonneur ; aux belles, d’autre part, le désir d’estime : l’absence de l’un et de l’autre interdit à toute cité comme à tout particulier l’exercice d’une grande et belle activité. Eh bien ! je dis ceci : un homme qui aime, si la vilenie qu’il est en train de commettre est flagrante, ou, quand il est exposé à celle d’autrui, la lâcheté qui l’empêche de s’en défendre, alors celui de qui il a été vu pourra être son père, il n’en éprouvera pas une égale souffrance ; ce pourront être ses camarades ou n’importe qui d’autre ; non, jamais comme si e c’étaient ses amours ! Et tout de même aussi pour l’aimé : nous ne le voyons devant personne aussi honteux que devant ses amants, s’ils le voient occupé à quelque vilain acte. Supposons donc que, par quelque moyen, il pût exister une cité, ou une armée, faite d’amants et de leurs bien-aimés, on ne voit pas comment leur cité à eux pourrait avoir une base meilleure de sa constitution, que leur éloignement pour tout ce qui est vilain et le désir d’estime dont ils rivaliseraient ! ni encore comment, et se battant coude à coude, 179 de tels hommes, une poignée seulement[1], ne seraient pas vainqueurs, si l’on peut dire, de toute l’humanité ! Oui, pour un homme qui aime, être vu de ses amours, ou lâchant le rang, ou jetant ses armes, serait sans nul doute plus, intolérable que de le faire sous les yeux du reste de l’armée ; et à cette humiliation il préférerait mille fois la mort. Et, bien entendu, pour ce qui est d’abandonner son bien-aimé sur place ou de ne pas le secourir dans le péril, il n’y a pas d’homme si lâche que l’Amour lui-même ne rende, pour le courage, possédé du dieu, et pareil ainsi au plus vaillant b par nature. Ainsi, c’est bien simple : ce que disait Homère[2] de la bravoure que souffle la divinité au cœur de quelques héros, voilà ce qu’aux amants donne l’Amour, comme un don qui vient de lui-même.

“Allons plus loin : mourir pour autrui, ceux-là seuls le veulent, qui aiment ; et non pas seulement les hommes, mais même les femmes. Et de cette abnégation c’est même la fille de Pélias, Alceste, qui fournit une preuve, assez puissante pour défendre à la face des Grecs la présente asser-

  1. Est-ce déjà le bataillon sacré de Thèbes (cf. Notice p. xxxix n. 1) ?
  2. Il. X 482, XV 262 (Athèna, Apollon pour Diomède, Hector).