Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 2 (éd. Robin).djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
179 b
13
LE BANQUET

tion : cette Alceste[1] qui seule a voulu prendre dans la mort la place de son mari, alors que celui-ci avait son père et sa mère, au-dessus desquels c s’éleva si haut l’épouse dont je parle, par une affection dont l’amour était le principe, que dès lors ils apparaissaient, eux, n’être à l’égard de leur fils que des étrangers, et ne lui être liés que de nom. Voilà l’acte qu’elle a accompli. Et cet acte a paru tellement beau, non pas aux hommes seulement, mais aux dieux, qu’une faveur accordée par ceux-ci à bien peu, parmi tant de héros qui ont accompli tant de hauts faits (on les compte aisément[2], ceux dont, en récompense, l’âme est remontée du fond de l’Hadès), les dieux l’ont accordée à l’âme de cette glorieuse femme, et ils l’en ont fait remonter, dans l’élan de d leur admiration pour son acte. Ce qui prouve que, eux aussi, ils estiment par dessus tout un zèle et des mérites qui se rapportent à l’amour. En revanche Orphée, fils d’Œagre, ils l’ont chassé de l’Hadès sans qu’il eût rien obtenu (car, s’ils lui montrèrent un fantôme de la femme pour laquelle il y était venu, ils ne la lui donnèrent pas en personne), parce qu’il leur parut avoir l’âme faible, chose assez naturelle chez un joueur de cithare ; et qu’il n’avait pas eu, pour son amour, le courage de mourir comme Alceste, mais plutôt employé toute son adresse à pénétrer, vivant, chez Hadès. Et voilà sans nul doute la raison pour laquelle ils lui ont imposé une peine et ont fait que la mort lui vînt par e des femmes[3]. Au contraire ils ont traité avec honneur Achille, le fils de Thétis, et l’ont envoyé aux Îles des Bienheureux[4] : c’est que, malgré l’avertissement de sa mère, qu’il mourrait s’il tuait Hector et que, s’il s’abstenait de le tuer, il reviendrait vers son pays pour y finir ses jours dans la vieillesse, il a choisi courageusement de secourir Patrocle, son amant, de le venger aussi ; et de la sorte, non pas 180 seulement de mourir pour lui, mais encore, en mourant, de le suivre dans son trépas. Voilà certainement pourquoi les

  1. Voir l’Alceste d’Euripide (coll. Budé, I) et la Notice de L. Méridier. Cf. Phédon 68 a (p. 18 n. 1).
  2. C’est une façon de dire qu’il n’y en a pas qu’on connaisse.
  3. Légende bien connue : Orphée meurt déchiré par les Bacchantes.
  4. Selon Pindare (Ol. II, 77-88) et le chant d’Harmodius et d’Aristogiton (Bergk Lyr. III 646) ; dans l’Hadès, d’après l’Odyssée, XI 467 sqq. — Pour la suite, voir Iliade, XVIII 94 sqq., IX 410-416.