tion : cette Alceste[1] qui seule a voulu prendre dans la mort la place de son mari, alors que celui-ci avait son père et sa mère, au-dessus desquels c s’éleva si haut l’épouse dont je parle, par une affection dont l’amour était le principe, que dès lors ils apparaissaient, eux, n’être à l’égard de leur fils que des étrangers, et ne lui être liés que de nom. Voilà l’acte qu’elle a accompli. Et cet acte a paru tellement beau, non pas aux hommes seulement, mais aux dieux, qu’une faveur accordée par ceux-ci à bien peu, parmi tant de héros qui ont accompli tant de hauts faits (on les compte aisément[2], ceux dont, en récompense, l’âme est remontée du fond de l’Hadès), les dieux l’ont accordée à l’âme de cette glorieuse femme, et ils l’en ont fait remonter, dans l’élan de d leur admiration pour son acte. Ce qui prouve que, eux aussi, ils estiment par dessus tout un zèle et des mérites qui se rapportent à l’amour. En revanche Orphée, fils d’Œagre, ils l’ont chassé de l’Hadès sans qu’il eût rien obtenu (car, s’ils lui montrèrent un fantôme de la femme pour laquelle il y était venu, ils ne la lui donnèrent pas en personne), parce qu’il leur parut avoir l’âme faible, chose assez naturelle chez un joueur de cithare ; et qu’il n’avait pas eu, pour son amour, le courage de mourir comme Alceste, mais plutôt employé toute son adresse à pénétrer, vivant, chez Hadès. Et voilà sans nul doute la raison pour laquelle ils lui ont imposé une peine et ont fait que la mort lui vînt par e des femmes[3]. Au contraire ils ont traité avec honneur Achille, le fils de Thétis, et l’ont envoyé aux Îles des Bienheureux[4] : c’est que, malgré l’avertissement de sa mère, qu’il mourrait s’il tuait Hector et que, s’il s’abstenait de le tuer, il reviendrait vers son pays pour y finir ses jours dans la vieillesse, il a choisi courageusement de secourir Patrocle, son amant, de le venger aussi ; et de la sorte, non pas 180 seulement de mourir pour lui, mais encore, en mourant, de le suivre dans son trépas. Voilà certainement pourquoi les
- ↑ Voir l’Alceste d’Euripide (coll. Budé, I) et la Notice de L. Méridier. Cf. Phédon 68 a (p. 18 n. 1).
- ↑ C’est une façon de dire qu’il n’y en a pas qu’on connaisse.
- ↑ Légende bien connue : Orphée meurt déchiré par les Bacchantes.
- ↑ Selon Pindare (Ol. II, 77-88) et le chant d’Harmodius et d’Aristogiton (Bergk Lyr. III 646) ; dans l’Hadès, d’après l’Odyssée, XI 467 sqq. — Pour la suite, voir Iliade, XVIII 94 sqq., IX 410-416.