Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 2 (éd. Robin).djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
186 d
25
LE BANQUET

de l’un il fasse acquérir l’autre ; qui, dans les corps où n’existe point d’amour et où il faudrait qu’il y en eût, sait l’y faire naître, aussi bien qu’extirper celui qui y existe : celui-là sans aucun doute est un professionnel habile. Il faut en effet que les éléments corporels entre lesquels il y a le plus d’inimitié, il soit capable de les rendre amis et de faire qu’ils s’aiment mutuellement. Or ce sont les éléments les plus contraires qui sont le plus ennemis : le froid du chaud, l’amer du doux, le sec de l’humide, et toutes choses analogues[1]. C’est pour avoir su e faire naître entre eux l’amour et la concorde, que notre ancêtre, Esculape, fut, au dire des poètes (j’en vois ici[2] !) et selon ma conviction personnelle, le fondateur de notre art.

Musique.

“La médecine donc, vous disais-je, est tout entière régie par le dieu Amour. Or le cas est le même pour la gymnastique et pour l’agriculture. 187 Quant à la musique, il est on ne peut plus évident pour n’importe qui, et même sans grand effort de réflexion, que son caractère est identique à celui de ces autres arts : c’est probablement cela même que veut aussi dire Héraclite ; car on doit convenir que la façon dont il s’exprime n’est pas heureuse. L’unité, dit-il en effet, en s’opposant à elle-même, se compose, de même que l’harmonie de l’arc et de la lyre[3]. Or, c’est le comble de l’absurdité de faire consister l’harmonie dans le fait d’une opposition, ou de la faire dériver d’opposés qui le sont encore. Mais voici probablement ce qu’il se proposait de dire : si l’on part d’une opposition entre l’aigu et le grave, par la suite et une fois qu’ils se sont ultérieurement mis b d’accord, l’harmonie est réalisée grâce à l’art de la musique ; car on ne voit guère comment, si vraiment l’opposition existait encore entre l’aigu et le grave, il en résulterait une harmonie ! L’harmonie en effet est une consonance, et la consonance, une sorte d’accord. Or l’accord, tant que les opposés sont en opposition, ne peut

  1. Ceci viendrait du médecin Alcméon de Crotone (fr. 4 Diels).
  2. Il désigne Aristophane, son voisin, et Agathon.
  3. L’unité de l’accord résulte de la composition de sons opposés ; l’unité du mouvement de la flèche, de la composition des tensions contraires de l’arc et de sa corde ; la mélodie, des vibrations imprimées par le plectre aux cordes de la lyre. Cf. Héraclite, fr. 51 Diels.