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LE BANQUET

mort, là-bas, chez Hadès, au lieu d’être deux vous soyez un, pris tous deux par une commune mort… Eh bien ! voyez si c’est à cela que vous aspirez et si vous pouvez vous contenter d’un tel sort… » En entendant ces paroles, il n’y en aurait pas un seul, nous le savons bien, pour dire non, ni évidemment pour souhaiter autre chose ; mais chacun d’eux penserait au contraire qu’il vient, tout bonnement, d’entendre formuler ce que depuis longtemps en somme il convoitait : que, par sa réunion, par sa fusion avec l’aimé, leurs deux êtres n’en fissent enfin qu’un seul !

“Ce qui en effet explique ce sentiment, c’est notre primitive nature, celle que je viens de dire, et le fait que nous étions d’une seule pièce : aussi est-ce de convoiter cette unité, de chercher à l’obtenir, qui est-ce que l’on nomme amour. 193 Oui, auparavant, je le répète, nous étions un ; mais aujourd’hui, conséquence de notre méchanceté, nous avons été par le Dieu dissociés d’avec nous-mêmes, comme les Arcadiens l’ont été par les Lacédémoniens[1]. Il est donc à craindre, si nous ne sommes pas envers les dieux ce que nous devons être, qu’une fois de plus on ne nous fende par la moitié, et que nous ne déambulions, pareils à ces gens qu’on voit de profil en bas-relief sur les stèles, quand nous aurons été sciés en deux selon la ligne de notre nez et que nous aurons eu le sort des osselets ! Voilà pour quels motifs on doit recommander à tout homme d’avoir en toute chose de la piété b à l’égard des dieux[2], afin, et d’échapper à l’une des éventualités et de réussir à réaliser l’autre, en prenant l’Amour pour guide et pour chef. Que nul dans sa conduite ne se mette en opposition avec lui (or c’est toujours se conduire en s’opposant à lui, que de se rendre haïssable aux dieux) ; car, une fois devenus amis du dieu Amour et notre paix faite avec lui, nous découvrirons, ou nous rencontrerons, les bien-aimés qui sont proprement nôtres : ce que de nos jours réalisent peu de gens ! Ah ! qu’Éryximaque n’aille pas se mettre en tête, tournant au comique ce que je viens de dire, que c’est de Pausanias et d’Agathon que je parle ! Il est du reste probable que ceux-ci sont

  1. Le diœcisme était, la cité vaincue ayant été rasée, en disperser les habitants en villages séparés. L’inverse est un synœcisme.
  2. L’insistance avec laquelle, à trois reprises (a, b, d), Aristophane