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LE BANQUET

c tout justement de ce petit nombre et que de nature ils sont mâles l’un comme l’autre[1]… Donc, c’est en pensant à l’ensemble, et des hommes et des femmes, que je dis : la condition pour que notre espèce soit heureuse, c’est de mener l’amour à son terme et, pour chacun de nous, de rencontrer le bien-aimé qui est le sien, bref de revenir à sa primitive nature. Si c’est là ce qu’il y a de meilleur, nécessairement ce qui, parmi les réalités actuelles, s’en rapproche le plus doit être aussi le meilleur ; et c’est la rencontre d’un bienaimé dont la nature réponde à nos aspirations.

“En célébrant le dieu qui est le véritable auteur de ce bienfait, d c’est l’Amour qu’à juste titre nous célébrerions : lui qui, dans le présent, nous rend le plus de services en nous menant à l’état qui nous est propre ; lui à qui, pour l’avenir, nous devons nos plus vastes espérances. C’est à nous d’être pieux envers les dieux, et il nous rétablira dans notre nature première, il nous guérira, il assurera notre parfait bonheur.


Intermède.

“Voilà, Éryximaque, reprit-il, mon discours sur l’Amour : un discours d’un autre genre que le tien ! Je te l’ai demandé, n’en fais pas un sujet de comédie : n’avons-nous pas encore à entendre e chacun de ceux qui restent ? Chacun des deux plutôt, puisqu’il ne reste plus qu’Agathon et Socrate. — Eh bien ! je t’obéirai, aurait d’après Aristodème répondu Éryximaque : c’est qu’en effet j’ai eu du plaisir à entendre ton discours ! Et même, si mon expérience ne m’enseignait quel est le talent de Socrate, comme d’Agathon, dans les matières d’amour[2], j’aurais bien grand peur de les voir en peine pour parler, puisque tant de choses ont été dites, et de si variées. Avec eux pourtant je ne laisse pas d’avoir confiance !”

« Socrate 194 prit alors la parole : “C’est vrai, Éryximaque, que dans notre concours d’éloges tu as été excellent. Mais, si

    recommande la piété envers les dieux est bien dans l’esprit de sa thèse : l’impiété nous a fait perdre notre unité originelle ; l’amour la restaurera, mais seulement si nous ne méritons pas un châtiment nouveau et plus radical encore.

  1. Allusion à l’amour de Pausanias pour Agathon (cf. 177 d). Ils se complètent, originaires tous deux d’un mâle primitif ; cf. 191 e sq. Tout autre est l’Agathon des Thesmophories. Notice p. lxv sq.
  2. Encore un effet d’ironie : l’assimilation est imprévue, les talents