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LE BANQUET

Utilisons dès lors, nous aussi, le même indice e à l’égard de l’Amour : il est délicat, dirons-nous, puisque ce n’est pas sur la terre qu’il chemine, ni même sur des crânes (ce qui n’est pas quelque chose de bien tendre !), mais que c’est dans tout ce qu’il y a au monde de plus tendre qu’il chemine et réside. Car c’est dans le moral, c’est dans les âmes des dieux et des hommes qu’il assoit sa résidence. Et même ce n’est pas indistinctement dans n’importe quelle âme ; mais, s’il en rencontre une dont le moral soit dur, il s’en éloigne, tandis que dans celle où il y aura de la tendresse il vient résider. Étant donc en contact constant, des pieds comme de tout l’être, avec ce qui entre les choses les plus tendres est ce qu’il y a de plus tendre, l’Amour est nécessairement d’une délicatesse sans pareille.

“L’Amour, 196 on le voit, est l’être le plus jeune et le plus délicat. Ajoutez maintenant, relativement à sa forme, qu’il est ondoyant[1]. Il ne pourrait en effet se plier à toute occasion, aussi bien du reste que se couler dans toute âme sans qu’on se doute d’abord qu’il y entre ni qu’il en sort, si la dureté était son fait. Et l’on a de sa flexibilité et de son ondoyante nature une preuve qui compte : c’est la grâce de son aspect, cette grâce incomparable[2] dont tous les hommes s’accordent à dire qu’elle appartient à l’Amour ; entre un aspect disgracieux et l’amour, il y a en effet, de l’un à l’autre, un perpétuel antagonisme. Quant à la beauté de son teint, sa vie passée au long des fleurs la fait deviner ; c’est que sur ce qui ne fleurit pas ou qui a passé fleur, b corps, âme ou quoi que ce soit d’autre, l’Amour ne vient point se poser, tandis qu’où le terrain est riche en fleurs et en parfums, là il se pose et il demeure.

“Sur la beauté du dieu concluons : ce qui a été dit suffit et c’est aussi très loin encore d’être complet. Mais c’est des vertus de l’Amour qu’il faut après cela parler.

    qui va doucement son chemin sur la tête des hommes et qui, sans qu’ils s’en doutent, les entrave ou les frappe de vertige.

  1. Le mot rendu par ondoyant signifie aussi humide, et onduleux comme langoureux. L’Amour se plie aux contours de l’objet qu’il embrasse et il s’infléchit sur les reliefs de l’âme qu’il traverse. Il s’y proportionne donc ; or la proportion fait la beauté (Notice p. lxvi sq.).
  2. Ou bien : qu’il possède, incomparablement entre toutes choses (c.-à-d. comme rien ne la possède au même degré que lui).